mercredi 21 septembre 2016

Point d'Histoire 01 - Sport, Culture et Enjeu Militaire en Grèce Antique - Introduction (1)

J'inaugure la nouvelle série Point d'Histoire, centrée sur des sujets un peu plus classiques que le reste de mes articles. Dans cette première série, nous allons revenir ensemble sur le sport en Grèce antique. Les quatre épisodes qui vont suivre font partie de l'article publié sur le site des universitaires québécois d'"Histoire Engagée". Je vous le retranscris.

Sport, culture et enjeu militaire en Grèce antique 

Introduction (1)

Au vu des récents événements sportifs contemporains, glorifiant le sport, la compétition et la fierté nationale, on peut se demander si cet esprit de pratique sportive a des échos dans l’histoire. Et pour ce faire, il convient de revenir aux origines de notre compétition olympique mondiale, inspirée du modèle grec et pourtant peut-être très différente. Si les Jeux Olympiques remontent à une réalité historiquement datée, la place de cet événement sportif change du tout au tout dans le monde méditerranéen antique : limitée géographiquement et culturellement au monde grec, cette compétition panhellénique rassemble des sportifs venant des familles les plus nobles et les plus fortunées de la Grèce, au sein d’un événement qui mêle communément religion et sport. Au-delà de ces jeux, il s’agit ici de voir la place particulière du sport dans ce monde qui a tant inspiré Pierre de Coubertin (1863-1937). Si les Grecs n’ont pas inventé le sport, ils sont à l’origine de la pratique de la « gymnastique ». De γυμνός (gymnos) signifiant « nu », des exercices physiques (γυμνάσια, gymnasia) sont pratiqués au sein du γυμνάσιον (gymnasion : le gymnase), lieu emblématique. Quant à l’étymologie du mot « sport », elle est bien différente. Venant de l’ancien français disporter, le terme désigne une plus grande variété d’activités, du jeu physique à sa pratique intensive[1]. Nous utiliserons ainsi le mot sport dans son sens le plus vaste, pour désigner l’éducation des enfants, celle des ὅμοιοι (homoioi) spartiates, ou encore la pratique compétitive et l’entraînement militaire. 

Un Hoplite Spartiate

La pratique du sport dans la Grèce antique est avant tout une question d’éducation (παιδεία : paideia). La formation du Grec typique, inspiré du motif du καλὸς κἀγαθός (kalos kai agathos : l’homme beau et bon) est vue idéalement par des auteurs tels Xénophon (430/355), admirateur du modèle de formation spartiate[2], ou Platon (428/348) qui lie la fondation d’un régime idéal[3] à la formation spécifique des citoyens. Cette volonté de modeler le corps par le sport, qui prend surtout un tour aristocratique, se lie à une « exception culturelle » à la grecque : les Jeux Panhelléniques des sanctuaires religieux d’Olympie, de Némée, de l’Isthme ou encore de Delphes sont en effet l’occasion de perpétuer une tradition sportive, religieuse et culturelle, excluant le barbare, celui qui n’est pas grec[4]. Les vainqueurs de ces Jeux bénéficient d’une renommée certaine dans le monde grec. Mais le sport est aussi une préparation à la guerre. Le cas des Spartiates est révélateur, mais la participation aux exercices du gymnase à l’époque hellénistique, et notamment dans l’Egypte lagide ou la Syrie séleucide, est un enjeu politique et militaire. 

Petite carte pour retrouver les Antigonides, les Lagides et les Séleucides à l'époque hellénistique

Les Grecs dans l’Antiquité s’étendent de « Gibraltar à l’Indus, et du Danube au Soudan »[5]. Aussi serait-il impensable de donner un panorama complet des pratiques sportives à cette époque. Toutefois, nos sources vont limiter la recherche. A l’époque classique, les sources littéraires sont profondément tournées vers les deux cités antagonistes que sont Athènes et Sparte, du fait de la Guerre du Péloponnèse (431/404) et des conflits qui s’ensuivent jusqu’à la domination macédonienne. On retrouve aussi les sources épigraphiques, et surtout à Athènes, mais elles sont bien plus importantes à l’époque hellénistique, complétées par les sources papyrologiques de l’Egypte sous domination lagide. Les recherches historiques sur le monde sportif antique se sont aussi considérablement approfondies dans la deuxième moitié du XXe siècle. La focale olympique a glissé vers la focale culturelle et sociale, comme en témoignent les récents ouvrages sur la question[6]

Coureurs grecs sur vase à figures noires (Northampton, Castle Ashby)

Dans ce monde qui est très loin d’être uni, le sport agit comme un élément d’une culture commune, une pratique susceptible de rapprocher les peuples du monde grec entre eux, notamment durant les grandes compétitions religieuses. Au sein même des cités-états ou des royaumes, le sport modèle la société, laissant apparaître une élite éduquée dans les voies du corps et de l’esprit, et préparant le citoyen à la guerre. 


Liste des épisodes :

- Episode 01 : Introduction
- Episode 02 : Le sport comme modèle culturel et social
- Episode 03 : La guerre, affaire de sportifs amateurs ?
- Episode 04 : Conclusion

Notes :

[1] CHRISTENSEN, Paul, KYLE, Donald G., A Companion to Sport and Spectacle in Greek and Roman Antiquity, John Wiley & Sons, Chichester, 2014, 658p., p.1-2 : cette mise en perspective sépare dans l’ouvrage le sport, comme pratique physique générique, l’athlétisme (du grec ἆθλος (athlos)), comme pratique de compétition impliquant un public et un prix, et le spectacle, comme pratique d’une performance public.

[2] XENOPHON, La Constitution des Lacédémoniens.

[3] PLATON, La République et Les Lois.

[4] Ce qui occasionne des débats, notamment dans le cas des Macédoniens, à la frontière entre le monde barbare et le monde grec (CHRISTENSEN, op. cit., p.332-345).

[5] LEGRAS, Bernard, Education et Culture dans le Monde Grec. VIIIe siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C., Armand Colin, Paris, 2002 (1998), 156 p., p.2.

[6] CHRISTENSEN, op. cit. et PRITCHARD, David M., Sport, Democracy and War in Classical Athens, Cambridge University Press, New York, 2013, 251p.

Sources :


- ANDRONICOS, M., « Sarissa », in Bulletin de Correspondance Hellénique (BCH) 94 (1970), p.91-107

- ARISTOTE, Constitution d’Athènes, trad. G. Mathieu et B. Haussoulier, Belles Lettres, 1972 (1e éd. 1922), 101 p.

- FEYEL, M., « Un nouveau fragment du règlement militaire d’Amphipolis », in Revue Archéologique (RA) 1935, p.29-68 ; HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Athènes, 2001, 196 p., annexe 3 : diagramma militaire d’Amphipolis

- HATZOPOULOS, M., « Nouveaux fragments du règlement militaire macédonien », in Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscription et Belles-Lettres, volume 144, n°2, 2000, p.825-840

- HOMERE, Iliade, chants XVII à XXIV, trad. P. Mazon, Belles Lettres, 2007

- HOMERE, Odyssée, trad. Ph. Jaccottet, La Découverte, 2004 (1e éd. 1982), 435 p.

- PAUSANIAS, Périégèse, trad. M. Clavier, Société Royale Académique des Sciences, 1821

- PLUTARQUE, Vies Parallèles¸trad. A-M Ozanam, Quarto Gallimard, Paris, 2001, 2292 p. 

Bibliographie :

- CHANIOTIS, Angelos, War in the Hellenistic World. A social and cultural history, Blackwell, Bodmin, 2005, 308 p.

- CHRISTENSEN, Paul, KYLE, Donald G., A Companion to Sport and Spectacle in Greek and Roman Antiquity, John Wiley & Sons, Chichester, 2014, 658p.

- DUCREY, Pierre, Guerre et Guerriers dans la Grèce Antique, Hachette Littératures, Evreux, 1999 (1e éd. 1989), 318 p.

- HANSON, Victor Davis, The Western Way of War. Infantry Battle in Classical Greece, University of California Press, Berkeley, 1989

- HATZOPOULOS, M. B., L’Organisation de l’Armée Macédonienne sous les Antigonides. Problèmes anciens et documents nouveaux, De Boccard, Paris, 2001, 196 p.

- HATZOPOULOS, M. B., Macedonian Institutions Under the Kings. A Historical and Epigraphic Study (Tome I), De Boccard, Paris, 1996, 554 p.

- LAUNEY, M., Recherches sur les Armées Hellénistiques, Tome I et II, De Boccard, Paris, 1987 (1e éd 1951), 1315 p.

- LEGRAS, Bernard, Education et Culture dans le Monde Grec. VIIIe siècle av. J.-C. - IVe siècle ap. J.-C., Armand Colin, Paris, 2002 (1998), 156 p.

- PRITCHARD, David M., Sport, Democracy and War in Classical Athens, Cambridge University Press, New York, 2013, 251 p.

lundi 12 septembre 2016

Chronique Géopolitique 02 - Le Cachemire, endroit le plus dangereux au monde ? (Asie du Sud)


Chronique Géopolitique 02 : Le Cachemire, endroit le plus dangereux au monde ? (Asie du Sud)

Pour cette deuxième chronique, nous nous déplaçons de l’Amérique Latine pour le sous-continent indien en Asie du sud, dans une zone où les tensions régionales restent vives depuis la fin des années 40 entre trois puissances aujourd'hui nucléaires : la République Populaire de Chine, la République de l’Inde et la République Islamique du Pakistan. C’est autour du Cachemire que se structurent ces affrontements, région qualifiée par le président américain Bill Clinton de « world’s most dangerous place ». Cette province partagée entre les trois acteurs régionaux se structure autour de glaciers très proches des frontières montagneuses chinoises, et d’une importante réserve d’eau douce en pleine Asie du sud, notamment pour le fleuve Indus (Pakistan).

Une indépendance mouvementée

Après la Seconde Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne entame un processus de décolonisation. Le mouvement indépendantiste dans les Indes Britanniques est mené entre autres par Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) et Jawaharlal Nehru (1889-1964) et suivi par les partisans de la désobéissance civile. Mais les heurts entre, pour simplifier, les communautés musulmanes du nord du pays, et les communautés hindoues du sud du pays, exacerbent les tensions locales. En 1947, contre les partisans d’une Inde indépendante et unifiée, les Britanniques organisent une partition, séparant le Dominion du Pakistan à majorité musulmane de l’Union Indienne à majorité hindoue. Ce n’est qu’en 1971 que le Dominion du Pakistan se sépare de la République Populaire du Bangladesh, cette dernière étant appuyée par l’Inde. 


Les 565 états princiers de la région, qui subissaient un contrôle indirect de la part des britanniques, sont désormais absorbés par les deux nouvelles entités politiques. Mais le maharadjah du Jammu-et-Cachemire Hari Singh (1895-1961) résiste. Hindou, il dirige une province à majorité musulmane sunnite, surtout à l’ouest, mais qui compte aussi des bouddhistes à l’est en marge du plateau tibétain, des hindouistes dans la plaine de Jammu et des chiites dans les montagnes du nord-ouest. 

Le Maharadjah Hari Singh

Des conflits régionaux

Des forces tribales appuyées par l’armée pakistanaise entrent alors dans la province, et le 26 octobre 1947, le maharadjah se décide à appeler l’Inde. La première guerre indo-pakistanaise commence, et ne s’arrête qu’au 1er janvier 1949, lorsque l’ONU partitionne la province : le tiers ouest pour les Pakistanais, le reste du territoire pour les Indiens. Une ligne de démarcation est tracée et gardée. Ce conflit a provoqué des centaines de milliers de morts selon les estimations, et a occasionné un vaste transfert de population (on parle de plus de douze millions de personnes), fuyant les violences, musulmans rejoignant le Dominion du Pakistan, et hindouistes rejoignant l’Union Indienne. Ce ne sera pas le seul conflit qui opposera ces deux états : en 1965 après une infiltration pakistanaise ; en 1971 lorsque le Pakistan oriental, appelé Bangladesh, se sépare du Pakistan ; en 1999 dans la vallée montagneuse de Kargil, soit une guerre à très haute altitude ; en 2001-2002, lorsque l’Inde subit des attentats et accuse des cellules terroristes pakistanaises soutenues par l’Etat, que les troupes se massent près de la ligne de démarcation, et que les deux puissances possèdent l’arme nucléaire depuis 1998. Une situation tendue. 


A ces deux protagonistes s’en greffe un troisième : la Chine de Mao Zedong (1893-1976). Il envahit l’Aksai Chin en 1962, ainsi que la haute vallée de Skagsam et une partie du sud-est. Cette région stratégique est en effet en contact direct avec les provinces chinoises du Tibet au nord-est et du Xinjiang au nord-ouest. Ce grave contentieux sino-indien perturbe les relations régionales, d’autant plus qu’il s’agit de deux puissances nucléaires et que le Pakistan ne s’oppose pas aux revendications chinoises, contrairement à l’Inde qui n’a jamais abandonné les territoires qu’elle considère comme légitimes. 

Le glacier du Siachen est ardemment défendu.

La question du terrorisme

Depuis les années 90, de nombreux fondamentalistes musulmans, appuyés sur des réseaux établis au Pakistan, et pouvant même venir d’Afghanistan depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la guerre contre les talibans qui a suivi, franchissent la ligne de démarcation entre la partie pakistanaise et la partie indienne. Certains parlent même de « djihad » dans le but de rétablir l’hégémonie pakistanaise sur un territoire qu’elle aussi considère comme légitime. Ceci occasionne des troubles, notamment entre la population musulmane locale et l’armée indienne de par les amalgames rapidement établis. Rajoutons à ce cocktail des mouvements indépendantistes, religieux ou non, organisés en guérillas, comme les Hizbul Mujahideen, des manifestations réprimées dans le sang et des milliers de disparus. En ce moment même, la mort d'un membre du groupe pré-cité a provoqué de nombreuses manifestations pendant l'été. 78 morts parmi les manifestants sont à déplorer pour le moment. Les tensions restent vives.

L'armée indienne après des manifestations en 2010.

Aujourd’hui, près de 700 000 militaires indiens patrouillent dans la province, faisant du Cachemire indien une des zones les plus militarisées au monde. Certaines villes sont encore placées sous couvre-feu, et la ligne de contrôle indo-pakistanaise fait plus de 740 kilomètres de long. Aujourd’hui encore, des heurts sont fréquents entre l’armée indienne et la population, d’autant plus qu’un référendum est demandé par l’ONU depuis 1949 et n’a jamais été appliqué. La région reste encore une zone de contentieux locaux et régionaux très importants, aggravés par le rang des puissances présentes et leurs capacités nucléaires.


Sources :

- Arte
- La Documentation Française
- Le Dessous des Cartes (10 septembre 2016) : l’émission revenait sur le discours cartographique du service Google Maps en fonction de ses lieux d’implantation. Dans la partie du Cachemire, on suit trois versions différentes, dont une montre par exemple le Cachemire entièrement indien, montrant que les luttes de pouvoir deviennent des luttes d’information.
- L’Humanité
- Monde Diplomatique (septembre 2016) : un des articles revient sur la lutte culturelle contre l’autorité indienne qui se fait aujourd’hui jour dans la région administrée par les autorités indiennes. Faisant suite aux manifestations réprimées dans le sang et à la lutte armée, les artistes sont dits prendre la relève.

dimanche 11 septembre 2016

Conflit d'Histoire 02 - La Guerre Israélo-Arabe - Sionisme et Palestine (2)

Conflit d'Histoire 02 - La Guerre Israélo-Arabe
1948-1949, Proche-Orient

Sionisme et Palestine (2)

I. La naissance du sionisme

Le mot « sionisme » dérive de la colline de Sion, désignant par métonymie Eretz Israel, la terre d’Israël. Celle-ci plonge ses racines dans la Bible hébraïque, dans l’histoire des royaumes antiques juifs et dans la géographie. A l’origine du mouvement sioniste de la fin du XIXe siècle, on trouve l’affirmation des identités nationales et des idées libérales, héritées de la Révolution Française et de sa diffusion dans l’Europe par les guerres napoléoniennes. Le principe de nationalité et la question de l’auto-détermination des peuples ne font pas le jeu des empires, et les courants libéraux s’opposant aux idées absolutistes en prônant la liberté individuelle. Les Juifs sont plus ou moins intégrés en Europe occidentale, là où on maintient un ensemble de discriminations en Europe orientale : les Juifs sont organisés en quartiers exclusifs appelés « ghettos », ce qui facilite les poussées antisémites se multipliant à la fin du XIXe siècle, et aboutissant aux pogroms.
 
"Pogrom" : verbe russe signifiant détruire, et désignant les pillages et les violences commis contre les Juifs en Russie entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle

A cela, certains intellectuels ou mécènes cherchent à trouver un juste milieu entre, d’une part, une émancipation synonyme d’assimilation, où l’identité spécifique juive est dépassée par une identité nationale, et d’autre part une soumission synonyme de multiples persécutions, comme en Europe orientale. Entre ces deux tendances, certains Juifs demandent une assimilation qui tienne compte de leur identité propre. C’est le premier jalon de formation du sionisme. Les poussées antisémites européennes, même présentes dans les lieux où les Juifs pensaient que l’assimilation était efficace, comme le prouve l’Affaire Dreyfus en France, poussent près de 600 000 Juifs à quitter l’Europe pour les Etats-Unis entre 1881 et 1903. Une minorité va pourtant se décider à rejoindre l’Empire Ottoman, et plus particulièrement la Grande Syrie, dans laquelle s’insère la « Palestine ». C’est là que les Juifs sépharades chassés d’Espagne après le XVe siècle avaient trouvé refuge et que le système des « millets » ottomans permet une relative autonomie.
 
Edmond James de Rothschild

La structuration d’un mouvement sioniste résulte de cette situation. A l’origine, l’Alliance Israélite Universelle (A.I.U), une société française, assiste les Juifs du secteur, tout comme les missions catholiques se structurent dans un Empire Ottoman pénétré peu à peu par les puissances européennes. Mais la vraie étape de constitution du sionisme se déroule en 1881 : un groupe de Juifs d’Europe orientale fondent le mouvement des « Amants de Sion », appuyé par des mécènes tels le Baron Edmond James de Rothschild (1845-1934), banquier français, qui se charge de financer l’achat de terres en Palestine. Théodore Herzl (1860-1904), journaliste et intellectuel, qui a notamment couvert l’Affaire Dreyfus, publie en 1896 Der Judenstaat (L’Etat des Juifs), et milite pour la constitution d’une Organisation Sioniste, fondée à la suite de la première conférence sioniste à Bâle en 1897. Il cherche un appui parmi les grandes puissances pour faciliter une installation juive, et cela passe d’abord par des négociations infructueuses avec l’Empire Ottoman. Il faudra attendre 1917 pour qu’une grande puissance, à savoir la Grande-Bretagne, soutienne officiellement ce projet.

II. La Palestine

Au sein de l’Empire Ottoman, ce vaste ensemble politique multi-ethnique se réduisant au XIXe siècle sous l’impulsion des mouvements indépendantistes et des Européens, la Palestine fait partie de la « Grande Syrie », appelée Bilad al-Sham, structurée autour de Damas et incluant Israël, la Jordanie, le Liban, la Palestine et la Syrie contemporaine, divisé ensuite en sous-ensembles. Cet argumentaire sera utilisé par les Israéliens après la reconnaissance de leur état : pour eux, la Palestine n’a jamais existé en tant qu’entité directement dépendante du gouvernement de la Porte, et les peuples arabes locaux peuvent dès lors bien rejoindre les régions alentour. L’identité palestinienne se développe pourtant au XXe siècle en réaction à la poussée sioniste. 
 
L'Empire Ottoman et son organisation au début du XXe siècle.

Le foyer juif, le Yishouv, se constitue à partir de colonies pilotées au départ par l’A.I.U., puis par l’Organisation Sioniste, dont le but est de régénérer l’identité juive par l’éducation et le travail de la terre dans les kibboutzim, des colonies agricoles autogérées, lointaines successeurs des phalanstères et autres projets socialistes utopiques. Ce qui n’est pas toujours du goût des 25 000 Arabes Juifs Palestiniens déjà présents. Les kibboutzim se multiplient néanmoins au début du XXe siècle, et sont en 1908 au nombre de 26. Tel-Aviv est fondée à cette époque. Si les contacts sont au départ sans animosité entre les populations arabes locales et les Juifs, notamment par le fait que les colonies agricoles génèrent des emplois, c’est la Première Guerre Mondiale qui précipite les choses. 
 
L'Hashomer, ancêtre des forces armées de la Haganah.

Malgré tout, l’Empire Ottoman tente de juguler les arrivées juives, mais l’ingérence européenne empêche de contrôler cet afflux. Les Chrétiens du Liban bénéficient déjà d’une aide française, et la protection consulaire s’étend aux Juifs. Les kibboutzim, qui ne veulent dépendre de personne, montent sur pied une milice locale : l‘Hashomer. Ces fermiers montés, armés de carabines et de sabres, patrouillent entre les différentes colonies juives. En 1912, avant la Première Guerre Mondiale, la population juive a ainsi doublée en Palestine, atteignant 50 000 individus.

Liste des épisodes :

1 : Le bouleversement du « Proche-Orient ».
2 : Sionisme et Palestine.
3 : Une province mandataire en crise.
4 : ?
5 : ?

Bibliographie indicative :

CLOAREC, Vincent, LAURENS, Henry, Le Moyen-Orient au 20e siècle, Armand Colin, Paris, 2003 (2000), 255p.

LOUIS, Florian, Incertain Orient. Le Moyen-Orient de 1876 à 1980, PUF, Paris, 2016, 420 p.

RAZOUX, Pierre, Tsahal. Nouvelle Histoire de l’Armée Israélienne, Perrin, Paris, 2006, 618 p.

lundi 5 septembre 2016

Chronique Géopolitique 01 - La Fin des FARC ? (Colombie)

Dans cette nouvelle série, je vais m’efforcer de donner de petits aperçus sur des conflits géopolitiques contemporains. Le sujet n’est pas simple, et les définitions ne sont pas évidentes. S’il est possible de gloser sans fin sur la définition, on peut retenir que la géopolitique consiste en une interaction à l’échelle locale, régionale voire mondiale entre d’une part un milieu géographique, un territoire, une frontière, une enclave, etc., et d’autre part la politique, qui se définit par l’exercice du pouvoir et les rivalités qui en découlent, influant sur la politique au sens large, c’est-à-dire lorsqu’elle désigne une société ou un ensemble de sociétés, avec son cadre culturel, économique, social etc.

Le sujet n’est donc pas simple, mais se structurera autour d’articles synthétiques réalisés à partir du recoupage d’informations et de quelques lectures. Contrairement à ma série Conflit d’Histoire, nettement plus documentée, il s’agira donc d’être concis. Pour notre première chronique, il s’agira de parler des FARC. Et comme le sujet m’a beaucoup intéressé, il n’est peut-être pas utopique de dire qu’une future série de Conflit d’Histoire traitera du sujet…

Chronique Géopolitique 01 - La Fin des FARC ? (Colombie)

Définition rapide de la guérilla

La définition du mot guérilla est plus complexe qu’il n’y paraît. Elle désigne tout d’abord une technique de combat pratiquée par des bandes armées, dans le but de provoquer des escarmouches en évitant les chocs frontaux, pour provoquer un maximum de dégâts sur un temps très court afin de pouvoir se replier et économiser les effectifs. Les guérilleros sont du même coup ceux qui pratiquent cette guérilla. 


Seulement, s’ils peuvent appartenir à l’armée régulière légalement constituée par l’Etat, ils peuvent aussi être constitués par des civils, formant des bandes de francs-tireurs agissant en-dehors de l’armée, aussi appelés partisans. Ils forment dès lors des groupes paramilitaires, agissant comme des groupes armés, avec un commandement, un entraînement, mais sans être toujours reconnu par un Etat.

Le FLNC (Corse)

On peut distinguer la guerre dissymétrique de la guerre asymétrique, bien qu’elles concernent toutes deux des pratiques de guérilla. La première est une variante de la guerre au sens régulier du terme : une armée étatique et reconnue en combattra une autre mieux équipée et plus nombreuse en utilisant des techniques de guérilla pour frapper des objectifs militaires. La seconde concerne une armée reconnue ou non, et qui tente par des frappes militaires et/ou civiles de déstabiliser un état et de lutter contre un système étatique. Cela concerne autant le terrorisme que les mouvements indépendantistes.

La guerre civile

Depuis son indépendance vis-à-vis des Espagnols au début du XIXe siècle, la Colombie est frappée par une lutte incessante entre « libéraux » et « conservateurs », entre santandéristes et bolivariens, mouvements inspirés par d’une part Francisco José de Paula Santander y Omaña, et d’autre part par Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar y Palacios, deux héros de l’indépendance.

Simón Bolívar

Après une période de stabilité entre 1902 et 1948, une terrible guerre civile surnommée la Violencia réoppose les deux courants politiques, faisant des centaines de milliers de victimes. Après une période de dictature militaire, les deux partis s’unissent dans le gouvernement du Frente Nacional établi en 1958, ce qui n’est pas du goût des mouvements de guérillas les plus à gauche. S’appuyant sur les paysans, premières victimes des combats et du partage des terres jugé inégal, des républiques indépendantes tentent de se mettre en place au sud du pays, mais l’armée colombienne intervient. En 1964 sont fondées les Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia (FARC).

La guérilla des FARC

Contrôlant la culture de la coca, les FARC négocient avec les cartels de drogue pour financer leur lutte armée dans les années 80, tout en multipliant les enlèvements d’officiels ou de civils. Ils sont suffisamment puissants dans les années 90 pour négocier avec le gouvernement après quelques succès, et compter près de 18 000 guérilleros, contre quelques centaines au tout début . En face, des milices d’auto-défense d’extrême-droite s’organisent officieusement, pratiquant une répression parfois aveugle, et couverts par les militaires.


Au début des années 2000, les négociations sont rompues, la Colombie lance un plan de réarmement et de répression des mouvements de guérilla, parfois aveugles, appelé política de seguridad democrática. Les Etats-Unis financent cette politique à partir du Plan Colombia, d’autant plus que les FARC ont été classés depuis 2001 dans la liste des organisations terroristes. Les FARC sont peu à peu repoussés, et la violence atteint son paroxysme à la fin des années 2000, à coup de mines antipersonnelles, sur fond de trafic de drogue et de scandales, comme celui des falsos positivos, des civils tués par les militaires et catégorisés comme guérilleros par les militaires du gouvernement pour montrer des résultats.

La paix enfin ?

En 2012, après des revers importants, les FARC annoncent la fin des enlèvements. Le processus de paix suit en 2013 à La Havane, les FARC s’étant inspirés durant leur longue lutte du communisme cubain. En juillet 2015, les hostilités cessent, et le 28 août 2016, un cessez-le-feu définitif est annoncé. Après 52 ans de conflit, les 7 500 FARC encore en activité, parmi lesquels on compte près de 40% de femmes, sont tenus de rendre les armes. Entre le 20 et le 26 septembre 2016, le président colombien M. Santos rencontrera le chef Timochenko, et le 2 octobre, un référendum sera tenu dans le pays pour acter cette fin de lutte. Le conflit aura fait 260 000 morts, 45 000 disparus, 6.8 millions de déplacés et aura duré 52 ans.


Visites du net :

- Arte
- France Culture
- Le Monde
- Un mémoire