samedi 31 décembre 2016

Chronique Géopolitique n°05 - Des bombes au Yémen (Péninsule Arabique)

Une guerre civile au Yémen

Au sud de l’Arabie Saoudite, le Yémen subit de plein fouet une guerre civile pendant qu’une coalition menée par son voisin du nord intervient dans ses affaires intérieures. Pendant que l’attention de la communauté internationale se porte sur l’Etat Islamique et sur la Syrie, on a tendance à oublier ce conflit qui est pourtant très meurtrier, et joue à nouveau le jeu des rivalités entre l'Iran et l'Arabie Saoudite au Moyen-Orient. Plusieurs médias se sont dans les dernières semaines intéressés à ce conflit qui ne dit pas son nom, mais les faits restent : les bombes pleuvent et personne n’entend les civils crier. 

Carte de la Tribune de Genève début 2015 : trois factions, un pays.

Ce conflit armé prend ses racines dans la chute du président Ali Abdallah Saleh en 2012, après 34 ans à la tête du pays. Toutefois, deux groupes étaient aussi présents à cette époque : AQPA, c’est-à-dire Al-Qaïda dans la péninsule arabique, et les rebelles zaydites (une branche du chiisme) communément appelés « houthistes » en référence à un de leurs chefs, Hussein al-Houthi, tombé en 2004 pour la cause de cette vieille insurrection. Plusieurs attentats revendiqués par les sunnites d'Al-Qaïda ou de l'Etat Islamique ont d'ailleurs frappé les milices houthistes, preuve que la situation est encore plus complexe dans ce pays où la population est à moitié chiite, et à moitié sunnite.

L’interventionnisme des états voisins

Les rebelles, soutenus par l’ancien président déchu, prennent la capitale de Sanaa en janvier 2015, gardant le nord du pays, tandis que le sud reste dans les mains du gouvernement yéménite élu, et qu'Al-Qaïda garde une influence dans l'est du pays. Ce jeu à trois n'est pas du goût de l’Arabie Saoudite, qui décide de monter une coalition de pays sunnites en mars 2015 pour lutter contre les houthistes. Cette rébellion zaydite est en effet vue comme une tentative de l’Iran chiite de prendre pied dans la zone. Et l'on sait que la rivalité entre les deux pays est toujours aussi forte. Aussi, le conflit prend une tournure régionale, et les états africains au-delà de la Mer Rouge ont été à leur tour projetés. 

La coalition restaure le pouvoir du président élu contre les rebelles houthistes, négligeant la branche d'Al-Qaïda.

Au-delà de ce bras de mer, l’Erythrée et l’Ethiopie se livrent en effet depuis plusieurs dizaines d’années une vraie guerre d’influence, se manifestant par des frictions frontalières permanentes. L’ascendant est pris par l’Ethiopie. Mais avec la guerre au Yémen, l’Erythrée a rejoint la coalition. L’aéroport et le port d’Assab portent désormais les engins de guerre aériens ou navals des alliés de l'Arabie Saoudite, ce qui agace profondément l'Ethiopie. Le Soudan a aussi envoyé des contingents armés, et le Somaliland, pourtant non reconnu par la communauté internationale, reçoit un afflux de capitaux pour sa proximité. Et en arrière-plan, les Etats-Unis soutiennent cette coalition, visiblement pour ménager l’allié saoudite face au rapprochement avec l’Iran, d'après Gérard Prunier. 

La guerre tue

Ce conflit armé a fait désormais plus de 7000 morts, de 37 000 blessés et surtout trois millions de personnes déplacées, et les raids aériens de la coalition ne font rien pour arranger ce bilan, les bombes ne faisant aucun différence entre rebelles et civils. Si les bombardements défraient régulièrement la chronique pour nous parler de centaines de victimes, civiles ou non, notons que l’Arabie Saoudite a été rajoutée à une liste noire de l’ONU pour non-respect des enfants dans un conflit armé à la suite de bombes touchant de jeunes victimes... Avant d’en sortir aussi vite en juin 2016 en faisant pression sur l’organisme international : d'après Ban Ki-Moon, dans sa dernière année en tant que Secrétaire Général des Nations Unies, il s'agit de maintenir les fonds de l'Arabie Saoudite pour aider d'autres programmes, d'autres enfants... Exit les enfants yéménites donc. Et les attentats de la branche d’Al-Qaïda, et surtout de l'Etat Islamique, continuent. 

Les attentats de l'E.I. continuent. Le dernier : 18 décembre 2016.

Les rebelles houthistes tiennent pour le moment la capitale avec l’ancien président du Yémen, montent un pouvoir politique parallèle, concurrençant l’actuel président yéménite Abd Rabbo Mansour Hadi. Reste à voir en quoi cette coalition, appuyée par les Etats-Unis pour ménager l’Arabie Saoudite dans des temps troublés, continuera à s’ingérer dans les affaires d’un autre état à coup de bombes et de raids aériens, dans la grande indifférence de la communauté internationale. Notons au passage que le Yémen est sur une voie de passage maritime stratégique pour les porte-conteneurs, les enjeux économiques se mêlant ainsi aux autres types d'enjeux. Finissons par une question : bombarder des civils et des rebelles permet-il de résoudre une crise rapidement ? Un retour d'expérience de Syrie pour le compte de l'Arabie Saoudite me semblerait nécessaire...

Sources :

- Les médias qui s'émeuvent un peu en cette fin d'année
- Monde Diplomatique, dont l'article de septembre 2016

vendredi 23 décembre 2016

Armées Fantastiques 01 - L'Empire (Warhammer) - Histoire et Géographie (1)

Armées Fantastiques 01 : L'Empire (Warhammer)

Histoire et Géographie (1)

Comme je le disais précédemment, l’univers de Warhammer Fantasy Battle est développé depuis plus d’une trentaine d’années, et le tout récent Total War : Warhammer nous a refait voyager au temps de la huitième édition du jeu de plateau, datant de 2010. Les praticiens chevronnés savent pourtant qu'entre 2014 et 2015, une campagne intitulée la Fin des Temps a opposé toutes les races de Warhammer, jusqu'à ce que le monde que nous connaissions depuis la première édition s'effondre, inaugurant en 2015 la neuvième édition du jeu, intitulé L'Âge de Sigmar, et bousculant toutes les races et toute l'histoire, ainsi que le mode de jeu par figurines, ce qui n'a pas toujours été au goût des fans de la première heure. Nous nous intéresserons donc à l'univers Warhammer de la 8e édition, la plus riche.

Fini les rangs et les formations serrées ?

Comme ce blog est toujours plus sérieux que l’autre, j’ai décidé de me mettre à l’histoire militaire des races de Warhammer avant cette fameuse Fin des Temps pour inaugurer la série Armées Fantastiques, qui fait directement suite à Armées d’Hier et à Armées d’Aujourd’hui. Il s'agit toujours de présenter un système militaire, avec tout ce que cela implique comme données géographies, historiques et techniques, mais pour coller aux univers de fiction. Et quoi de mieux pour commencer que de parler des Germaniques de l’Empire, la nation humaine la plus étendue du monde de Warhammer ? Nous verrons trois angles d’attaque : le « lore » de l’univers Warhammer, la façon dont Games Workshop a fondé le tout, et la manière d’avoir représenté cela dans Total War : Warhammer.

L'adaptation vidéoludique dont je parle beaucoup sur mon autre blog est une réussite, au moins sur le plan visuel.

I. De Sigmar à l’Empire

Pour les créateurs du monde, Warhammer est un univers parallèle au nôtre, et suit à peu de choses près sa géographie. L’Empire s’étend ainsi, en 2521 après Sigmar, juste avant la Fin des Temps, sur le territoire du Saint-Empire Romain Germanique. A l’origine, on trouve différentes tribus humaines unies en l’an 0 du calendrier impérial par Sigmar Unberogen, devenu Sigmar Heldenhammer (le marteau des Gobelins). Vénérant le dieu Ulric, dieu de la guerre, de l’hiver et des loups, il a unifié sous sa poigne douze tribus humaines face aux Hommes-Bêtes et aux Peaux-Vertes, a conclu une alliance avec les Nains après quelques exploits contre les Orks, et est devenu un dieu peu après sa mort survenue en 50.

Sigmar Heldenhammer et la fameuse warhammer Ghal Maraz, aujourd'hui possédée par Karl Franz

L’héritage qu’il laisse est fluctuant au fil des âges, pendant que les guerres civiles et les rivalités s’accumulent entre les différentes parties de l’Empire, mais le dernier Empereur en date, Karl Franz, a réussi une fois de plus à mobiliser les forces de l’Empire face à ce qui se prépare tout autour d’eux. Les Hommes-Bêtes dent dans les bois, les Peaux-Vertes s’agitent, les Comtes-Vampires se meuvent en Sylvanie, les Skavens rôdent sous la terre et l’invasion du Chaos en provenance du nord est imminente. Nul doute qu’il nous faudra traiter aussi de ces nations dans d'autres épisodes.

Sondage fait en 2010 ici. Ce qu'il faut voir, c'est le nombre de races ou de factions.

II. Une monarchie élective

Comme son parent spirituel, l’Empire est une monarchie élective de droit divin, en l’occurrence celui de Sigmar. L’Empereur est assisté d’un Conseil d’Etat, parmi lequel on compte notamment le Grand Théogoniste pour les questions spirituelles, ainsi que les conseillers militaires, financiers, etc. Il n’est véritablement maître que dans son domaine, généralement la province du Reikland, car l’Empire est composée de provinces semi-autonomes dirigées par des Comtes-Electeurs, reconnaissables par leurs épées finement ouvragées appelées Crocs Runiques. Ces artefacts remontent à la création de l’Empire et à un Nain, et sont des armes si puissantes qu'elles peuvent percer les armures les plus lourdes.


L’Empereur est ainsi élu par un Collège d’Electeurs, composé de l’ensemble des Comtes-Electeurs (dix humains et un hobbit), ainsi que par le Grand Théogoniste et les deux Archi-Lecteurs du Culte de Sigmar. Rajoutez à cela le Al-Ulric, le Haut-Prêtre du dieu Ulric, vénéré en son temps par Sigmar, et qui garde une place déterminante dans le panthéon des dieux de l'Empire, et plus particulièrement dans les provinces du nord et dans le Middenheim, et vous obtenez un collège de quinze individus. Quant aux provinces, elles n'ont pas toujours été 11 : le Comté de Solland est dévasté en 1707, le Comté du Drakwald est abandonné depuis le XIIe siècle, le Comté de Sylvanie est dans les mains des Comtes-Vampires, et le Comté du Westerland a fait sécession. Karl Franz, élu Empereur en 2502, est aussi Comte-Electeur du Reikland, la province comportant la capitale d’Altdorf, à la confluence du Reik et du Talabec.

Les provinces actuelles de l'Empire.

III. Géographie de l’Empire

Les provinces de l’Empire sont héritées du partage de l’Empire entre les douze tribus unies par Sigmar, et sont gérées individuellement par des Comtes-Electeurs, sauf dans les cas où la province n’existe plus : le Comté de Sylvanie n’a plus qu’un bout humain rattaché au Stirland, le reste étant affilié aux Comtes-Vampires de la lignée des Von Carstein, tandis que le Comté de Drakwald est partagé depuis le XVe siècle entre le Middenland et l’Ostland, et que le Solland a disparu pour se retrouver en partie dans le Wissenland. On pourrait détailler les mœurs et la géographie de toutes les provinces pendant des heures, mais contentons-nous de dresser des portraits généraux.

Les provinces de l'Empire, en rouge, auxquelles on peut rajouté le Moot, peuplé de hobbits

L’Empire est bordé à l’ouest par la Mer du Chaos et par la Mer des Griffes, au nord par le Royaume de Kislev, à l’est par les Montagnes du Bout du Monde et par la Sylvanie des morts-vivants, au sud-est par les Montagnes Noires, au sud par les Montagnes Grises par-delà lesquelles se trouve notamment le Royaume de Bretonnie. La forêt et l’agriculture dominent cet espace humain. Les périls ne manquent pas : au fond des forêts, des hardes d’Hommes-Bêtes et d’abominations chaotiques rôdent, et plus particulièrement au nord. Les Orks et les Nains s’agitent à l’est et au sud. Les Morts-Vivants de Sylvanie se font menaçants à l’est. Les hordes de Skavens rôdent dans les égouts et les sous-sols. Et surtout, les invasions chaotiques en provenance du nord menacent, outre le Royaume de Kislev, les provinces septentrionales. Trois grandes rivières descendent des montagnes de l’est : le Talabec, le Stir et l’Aver, qui se jettent toutes trois dans le fleuve du Reik, et qui sont des liaisons commerciales assez importantes entre le Talabecland, le Stirland, l’Averland et le Reikland.

a) Les Provinces du Nord

Avec la Mer des Griffes et ses pirates au nord-ouest, bordant le Nordland et l’Ostland, le Royaume de Kislev et les problèmes chaotiques face à l’Ostland et à l’Ostermark, et les Montagnes du Bout du Monde ainsi que la Sylvanie bordant à l’est l’Ostermark, le nord n’est pas un endroit facile à vivre. La vie y est fruste, et on y vénère volontiers Ulric.

Le Ar-Ulric et une poignée de cultistes.

La Grande Baronnie du Nordland a rejoint l’Empire au IVe siècle après Sigmar, sous le règne de Sigismond II. La Marine Impériale croise dans les eaux de la Mer des Griffes, et les marins du Nordland sont réputés à travers tout l’Empire. Dans les sombres forêts de la province, on croise des groupes d’Hommes-Bêtes et des aberrations chaotiques : très proches des terres désolées du Chaos, ils en subissent les conséquences, mais sont d’autant plus des fervents d’Ulric. Le Comte-Electeur provincial est aussi Prince de Marienburg, la cité indépendante et sécessionniste à l’ouest du Reikland, donc tout au sud de l’Empire. Au XVe siècle, la province reçoit une grande partie de la province disparue du Drakwald, abandonnée depuis le XIIe siècle.

Les couleurs du Nordland (ici).

La Grande Principauté d’Ostland est couverte par la Forêt des Ombres, et borde directement le Royaume de Kislev, bordant lui-même les Terres Désolées du Chaos. Les abominations sont légions, et les habitants sont des durs-à-cuire, ayant eu à affronter de multiples invasions chaotiques depuis la création de l’Empire. Ils vénèrent plus particulièrement Sigmar, une anomalie religieuse dans le nord plus travaillé par Ulric.

Valmir Von Raukov, le Comte-Electeur actuel

La Ligue d’Ostermark est fondée après la chute d’une météorite dans la capitale Mordheim au XIXe siècle, maintenant abandonnée du fait de la présence de la malepierre et des mutations terribles engendrées par ce matériau chaotique. L’association des cités résiste aux mutants des forêts, et se doit de surveiller Kislev au nord et les morts-vivants au sud.

Un jeu de figurines et un jeu vidéo existent sur Mordheim, et j'en parle dans cet article.

b) Les Provinces du Centre et du Sud

Au centre de l’Empire, de larges provinces restent déterminantes pour sa destinée. A l’ouest, des terres désolées bordent la Mer du Chaos. La cité plus ou moins indépendante de Marienburg surveille l’embouchure du Reik. Au sud, les Montagnes Grises bordent la capitale Altdorf, et à l’est les Montagnes Noires bordent le Wissenland. Près des Montagnes du Milieu, au centre de l’Empire, s’étend le Middenland et le Hochland, tandis que le Talabecland profite de sa centralité pour faire fructifier ses liaisons fluviales.

La Grande Baronnie du Hochland est réputée pour ses chasseurs, dans ses grandes forêts. Leur réputation est supérieure aux forestiers du Nordland, pourtant déjà renommés. Ils sont à côté des Montagnes du Milieu, avec l’Ostland, le Middenland et le Nordland, où se trouvent des restes du Chaos et quelques tribus de Gobelins.

Les couleurs du Hochland (ici)

Le Grand-Duché du Middenland et de Middenheim est situé au cœur de l’Empire, et concentre des hauts lieux du culte d’Ulric, attirant des pèlerins de tout horizon. Des ordres de chevalerie vénérant Ulric s’y trouvent. Dans le principal sanctuaire est gardé le Croc Runique de l’ancien Comte-Electeur du Drakwald, décédé en 1110, et dont la province a été partagée entre le Nordland et Middenland.

Les Chevaliers du Loup Blanc (ici).

La Grande Principauté du Reikland est la province la plus riche de l’Empire. Elle comporte la capitale d’Altdorf, qui est le plus souvent la demeure de l’Empereur. Son armée est la plus professionnelle, la plus entraînée, la mieux équipée, et les chevaliers du Grand Ordre de la Reiksguard protègent la lignée impériale.

La Reiksguard.

Le Grand-Duché du Talabecland est une des plus centrales et vastes provinces de l’Empire. Elle profite des vallées fluviales du Stir et du Talabec et de ses grandes routes pour commercer avec les provinces voisines. Globalement pacifiée, on trouve tout de même dans la Grande Forêt des restes de Peaux-Vertes et d’Hommes-Bêtes, prêts à massacrer les hommes négligents. 

Les couleurs du Talabecland (ici).

c) Les Provinces de l’Est

De grandes chaînes montagnes s’étendent à l’est de l’Empire : les Montagnes du Bord du Monde et les Montagnes Noires. Pourtant, deux problèmes majeurs subsistent : la province de Sylvanie bordée par l’Ostermark au nord, le Stirland à l’ouest et l’Averland au sud est le territoire des Comtes-Vampires. Aussi, il existe une trouée au sein des Montagnes Noires, donnant directement sur l’Averland. Le Col du Feu Noir, car tel est son nom, est âprement défendu face aux Peaux-Vertes. En effet, si le col était franchi par une Waagh! ork, c’est-à-dire un regroupement de tribus orks menée par un Big Boss, ils pourraient dévaster tout l’Empire.

Le Grand Comté de l’Averland garde ainsi au sud-est le Col du Feu Noir, qui donne directement sur les Montagnes Noires et, plus loin, sur les Terres Obscures, et d’où proviennent très souvent les marées de Peaux-Vertes. En 2520, un an avec le présent de Warhammer, la 3e Bataille du Col du Feu Noir a vu la mort du Comte-Electeur Marius Leitdorf, tandis que Karl Franz est passé à un cheveu de la défaite en terrassant finalement le chef des Peaux-Vertes, au prix d’un combat intense et meurtrier.

En 2520, l'Empereur et Marius Leitdorf défont les Orks, mais à quel prix ?

Le Grand Comté du Mootland est une partie très étrange de l'Empire, peuplé de hobbits, des créatures humanoïdes plus petites que des hommes. Ils produisent de nombreux biens agricoles, et sont protégés militairement par les hommes de l'Empire car leurs forces militaires sont limitées, bien que leurs frondeurs sont assez performants. L'Ancien des hobbits est le seul Comte-Electeur non-humain de l'Empire, et ne possède pas de Croc Runique.



Le Grand Comté de Stirland est situé à l’est de l’Empire, dans la vallée fluviale du Stir, et borde directement la Sylvanie, résidence des Comtes-Vampires, étant normalement attachée à la province. Assez pauvre, les habitants fatalistes et superstitieux ont fort à faire à côté des morts-vivants et de la brume démoniaque en provenance de Sylvanie. 

La bannière du Stirland...

Le Grand Comté du Wissenland est une des provinces la plus importante industriellement et technologiquement parlant. La cité industrielle de Nuln et ses fabriques permettent de produire toute l’ingénierie militaire dont l’Empire a besoin, de l’artillerie aux tanks à vapeur, en passant par les armes à feu. Le Grand Comté a absorbé l’ancienne province du Solland, dévastée par les Orks en 1707. Le Croc Runique de l’ancien Comte-Electeur est d’ailleurs désormais dans les mains du Reiksmarchal de Karl Franz, Kurt Helborg. 

Les fameux Tanks à Vapeur.

IV. Adaptations

On l'a vu, Games Workshop s’est inspiré du Saint-Empire Romain Germanique pour l'Empire : les Bretonniens français à l’ouest et au sud, le péril ottoman / Ork à l’est, les Vikings chaotiques au nord, la Sylvanie semblable à la Transylvanie d'où provient la légende du comte Dracula, le Reik semblable au Rhin, les consonances germaniques, la notion de Land. Quant à l’art militaire, il ressemble à celui compris entre le XVIe et le XVIIe siècle, comme nous le verrons dans l’épisode suivant : la Reiksguard ressemble aux fameux reîtres, les joueurs d'épée proches des lansquenets, les pistoliers impériaux utilisent l'art de la cavalcade, c'est-à-dire de tirer avec des pistolets avant de repartir en arrière pour recharger, et les lignes de piquiers sont assorties d'arbalétriers et d'arquebusiers pendant que l'artillerie commence à se développer. Bien sûr, le côté steampunk à coup d'industries et de tanks à vapeur instillent un peu plus de fantasy.

La cavalcade, façon XVIIe.

Quant à l’adaptation vidéoludique, le constat est mitigé par rapport à l’univers : certes, l’Empire n’est pas uni, et il faut avoir des relations diplomatiques avec les autres Comtes-Electeurs, et ces forbans de sécessionnistes à Marienburg. Toutefois, une fois les provinces conquises par la force, ou par une confédération, l’Empire ressemble à un ensemble macrocéphale. On a plus l’impression de centraliser tout le pouvoir que de voir une union des dix Comtes-Electeurs. Outre l'absence des Hobbits, alors même que la cité principale du Mootland est représentée sur la carte, il serait de bon ton de rajouter des troupes régionales spécifiques, tels les ordres de chevalerie du Middenheim, les lanciers d'Ostland, les forestiers d'Hochland, etc. Il serait aussi intéressant de garder les couleurs provinciales en fonction du lieu de recrutement : cela renforcerait l'idée d'un univers cohérent. Pouvoir jouer d'autres Comtes-Electeurs pourrait aussi être intéressant pour le joueur. 

La carte façon Total War.

Conclusion

L’Empire consiste en une association de provinces, tenant tant bien que mal face aux très nombreux périls, et partageant une langue, le Reikspiel, une culture et une histoire commune. Les rivalités existent, mais au moment où l’histoire s’écrit, l’Empereur Karl Franz tient l’Empire grâce à ses victoires militaires et à ses exploits guerriers. Malgré le cadre rudimentaire de la vie dans les forêts et les campagnes, les humains de l’Empire ont accès à une technologie avancée, maîtrisant la poudre noire et l’artillerie grâce aux Nains et à l’inventivité humaine. Ils possèdent de grands Collèges de Magie à Altdorf, et leurs soldats, plus ou moins équipés ou disciplinés, sont capables de tenir tête pour le moment aux périls de tous les instants.

Sources :

- La Bibliothèque Impériale
- Les Livres d'Armée v8
- Lexicanum 
- Warhammer Wiki

mercredi 14 décembre 2016

Chronique Géopolitique 04 – Alep, la cité en ruines (Proche-Orient)

Le braquage des médias

Dans tous les médias, on parle du sort d’Alep. Ancienne capitale économique de la Syrie, elle était partagée entre rebelles et forces gouvernementales depuis 2012, et était le lieu d’une lutte sans merci. Mais alors que la situation était bloquée, la région est devenue une véritable poudrière, avec l’émergence de l’Etat Islamique s'étendant de l'Irak à la Syrie, profitant de la faiblesse des moyens étatiques, et le retour des rivalités. Seules les alliances du dirigeant alaouite lui ont permis de réaliser cette percée redoutable dans la ville d’Alep. Les bombardements et les combats, de plus en plus intenses, ont vu la ville être finalement en voie d’être reconquise entièrement. 


Un avant-après évocateur ici.

Ce que les médias oublient, en revanche, c’est que cette région du monde qui attire largement les regards a été oubliée pendant cinq ans. Par intervalles, le monde braquait ses jumelles sur le terrain jonché de décombres, en parlant d’armes bactériologiques, d’accords, de trêves, et puis laissaient tomber, tandis que les combats continuaient dans l’indifférence générale, toujours plus meurtriers. Aujourd’hui toutefois, tous les médias sont unanimes : c’est un vrai drame qui se joue à Alep, et le monde est impuissant. 

Alep partagée

En 2010/2011, le "Printemps Arabe" qui touche le Maghreb, et met à la porte certains dirigeants, se télescope en Syrie. Le président alaouite Bachar al-Assad, gouvernant une majorité de sunnites, est contesté. De nombreuses manifestations éclatent. L’armée intervient alors, et une partie des manifestants prennent les armes. La guerre civile éclate. Une coalition internationale rentre dans le combat libyen, touché par une crise similaire, mais en Syrie, les insurgés se battent contre l’armée syrienne. Différents groupes aux motivations diverses rentrent dans le combat. 


Manifestation contre le régime en juillet 2011 à Hamas

A Alep, l’offensive rebelle démarre en 2012. Mais la résistance est féroce, et les insurgés toisent les soldats du gouvernement pendant près de quatre ans, tenant chacun une partie de la ville. Depuis septembre 2016, la ville est assiégée à nouveau par les forces pro-gouvernementales, et les insurgés sont bloqués dans Alep-est. Fin novembre 2016, pour 250 000 personnes vivant encore dans cette partie de la ville, on retrouve entre 10 000 et 20 000 combattants. Un tiers des rebelles font partie du groupe porté par le Front Fatah Al-Cham, soit autrefois la branche syrienne d’Al-Qaïda, tandis que 50% des autres combattants rassemblent l’Armée Syrienne Libre et des sympathisants des Frères Musulmans. Le reste des combattants gravite entre ces deux pôles. 

Les alliances de Bachar-al-Assad

Seulement, de l’autre côté, l’armée syrienne, ou tout du moins ce qu’il en reste après cinq ans de lutte, est appuyé par des forces liées aux alliances compliquées de la région. On le sait, l’indécision de Washington, les problèmes du veto au Conseil de Sécurité et l’ingérence de la Russie ont fait que la Syrie a reçu l’appui direct de moyens militaires russes. Deux bases navales, Tartous et Lattaquié, reçoivent des navires russes, le porte-avion Amiral Kouznetsov présent depuis le 12 novembre participe aux raids aériens, et ainsi les Russes appuient fortement les troupes syriennes en maniant le bombardement.


L'Amiral Kouznetsov en chair et en métal

Aussi, on retrouve, outre les forces gouvernementales et russes, la présence de milices chiites, auto-formées dans un pays majoritairement sunnite, ainsi qu’une forte concentration de chiites du Hezbollah libanais, et du soutien matériel en provenance de l’Iran. Comme nous le disions dans cette autre chronique, la rivalité entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pour des enjeux régionaux est toujours prégnante, et mieux vaut maintenir un Alaouite au pouvoir que de voir le risque que des sunnites qualifiés de "salafistes" prennent le pouvoir. De fait, on retrouve des milices irakiennes, des Afghans chiites et des mercenaires pakistanais (voir l’article du Monde Diplomatique), qui profitent de l'appui matériel iranien. Quant aux choses plus controversées, un documentaire d’Arte signale que le président n’avait pas hésité à libérer les détenus les plus radicaux de ses prisons au début de la guerre civile, peut-être dans une tentative de discréditer l’ensemble des rebelles en les assimilant à des groupes terroristes affiliés à l’Etat Islamique ou à Al-Qaïda.

Blood will have blood (Macbeth, Shakespeare, 3.4)

En attendant, les protestations de la communauté internationale n’empêchent pas que l’ONU reste pieds et poings liés face au veto, et à l’intervention des Russes, tandis que Washington perd pied sur le terrain, après notamment le bombardement très controversé de troupes syriennes pro-gouvernementales à la mi-septembre. Alep est en train de tomber, et est le symbole de cette guerre civile : terrible, sanglante, et sans trêve possible puisqu’elles sont systématiquement sans suite. Les crimes de guerre sont courants, et toutes les ONG présentes sur place parlent des conséquences désastreuses de la guerre pour les populations civiles, portant leur bilan à une fourchette comprise entre 400 000 et 500 000 morts. 



La moitié de la population syrienne (de 22 millions avant la guerre) a été déplacée pendant le conflit selon un chiffre donné en 2015, et un quart des syriens sont dits "réfugiés". Ils continueront à affluer en attendant que la guerre soit liquidée par les acteurs sur place. Alep est l’exemple-type des rivalités régionales, de l’impuissance relative de la communauté internationale et de la place du conflit armé dans notre monde. Reste la même question que pour la fin de l‘Etat Islamique : avec tous ces acteurs, que se passera-t-il une fois la guerre finie ?

Sources :

- Arte : Daesh : Naissance d’un Etat terroriste (Jérôme Fritel, 2014) et surtout Les Guerres Cachées contre Daesh (Jérôme Fritel, 2016), qui traite des motivations contradictoires des acteurs présents

- Le Monde Diplomatique : l’article de Bachir El-Khoury de l’édition de décembre 2016 est à ce titre très utile

- Tous les médias qui font leur une sur le sujet

dimanche 4 décembre 2016

Armées d'Hier 01 - Les Mérovingiens

Armées d'Hier 01 : Les Mérovingiens

I. Présentation historique


Un officier romain d'origine barbare, Flavius Odoacre, dépose en 476 l'Empereur Romulus Augustus. Si ce n'est pas exactement l'effondrement effectif de l'Empire Romain, puidsqu'Odoacre répond désormais en théorie à l'Empereur romain d'Orient Zénon, cela marque tout de même un grave affaiblissement de l'Empire dans sa partie occidentale. Odoacre onserve dans les faits une partie de la botte italique au nom de l'Empereur, mais les peuples dits "barbares", installés en Gaule depuis le début du Ve siècle pour servir en tant qu'auxiliaires de l'armée romaine pour la protection du limes, se bousculent à partir de cet effacement de l'autorité. On compte déjà Alamans, Burgondes, Francs ou encore Wisigoths dans la France qui est loin d'exister à l'époque.


Clovis (466-511), fils de Childéric 1er et petit-fils du mythique Mérovée, qui a donné son nom à la dynastie, devient roi des Francs Saliens en 481. Il attaque quelques années plus tard le Romain Syagrius, qualifié de rex Romanorum (roi des Romains) par Grégoire de Tours (539-594), et capture son royaume ainsi que sa capitale, Soissons. Il étend son royaume, se fait reconnaître comme roi par les autres peuplades franques, et se lie par le mariage aux autres rois. Ses descendants et lui vainquent et soumettent les Alamans (506) et les Burgondes (534), tout en se faisant plus ou moins reconnaître par les Bretons et les Saxons et en affrontant les Wisigoths.


Malgré toutes les conquêtes les portant de Soissons aux Alpes et aux Pyrénées, les partages successifs du royaume après la mort de Clovis (511), de Clotaire 1er (561), de Clotaire II (629) et de Dagobert 1er (639), ainsi que les rivalités violentes entre frères, affaiblissent le regnum Francorum, et celui-ci cesse de s'étendre. Des entités territoriales apparaissent plus ou moins indépendantes, gouvernées par des magister palatii (maître du palais), en théorie dépendants du roi, qui a en réalité perdu tout son pouvoir au profit des Grands à partir du VIIe sicèle : on les appelle "rois fainéants", car ils ne font rien. Les rivalités tournent autour des maires du palais de Neustrie (nord-ouest), de l'Austrasie (nord-est), de la Burgondie (sud-est) et de l'Aquitaine (sud-ouest), et ce seront les Carolingiens d'Austrasie qui prendront l'ascendant au milieu du VIIIe siècle.

II. L'armée mérovingienne

a) Organisation

Tous les hommes libres et Francs sont censés pouvoir être appelés à tout moment pour une expeditio (campagne militaire). Ils doivent s'équiper à leurs frais, et s'entretiennent eux-mêmes par leur richesse ou sur le terrain par le pillage. Ils sont contraints de payer une amende s'ils ne répondent pas à l'appel. On organise aussi quand il le faut des levées provinciales, donc des Gallo-Romains ou un des peuples soumis au regnum


Le roi et les Grands comptent dans leur suite des antrustions, ou leudes, c'est-à-dire des compagnons de guerre toujours disponibles à leur côté.  Cette sorte de garde personnelle est différente des levées à convoquer par le roi ou par un des Grands (duc ou comte). Le roi compte ainsi sur son armée privée (compagnons et hommes levés sur ses terres), et sur celles des Grands du regnum, qui utilisent les mêmes mécanismes. Dans la lignée de la tradition romaine, la revue et l'inspection des troupes a encore une place dans la guerre mérovingienne, comme l'épisode peut-être légendaire de Soissons le montre.

b) Armement et tactique

D'après l'historien byzantin Procope de Césarée (500-565), les élites franques à cheval portent la lance, et la majorité des guerriers à pied portent l'épée, le bouclier et la hache. Les Francs se sont fait particulièrement connaître militairement par l'usage de cette dernière, appelée francisque. Il s'agit d'une hache de combat pesant un peu plus d'un kilo, avec un manche de bois de 40 cm de long sur lequel un morceau de fer de 18 cm de long est placé. Elle pouvait être projetée en avant par des rotations jusqu'à 12 mètres. Les guerriers pouvaient porter un petit bouclier fait en lattes de bois et surmonté de cuir d'environ 80-90 cm de diamètre. Quant à l'épée, il peut s'agir d'une spatha, une arme à double tranchants, d'une longueur comprise entre 75 et 90 cm. On trouve aussi des semispatha de 40 cm de long et des épées à un seul tranchant, les plus connues étant les fameuses scramasaxes, sortes de coutelas.



D'après Agathias le Scolastique (530-594), le continuateur de l'oeuvre de Procope, les Francs se battent généralement nus jusqu'à la ceinture, et portent des vêtements en peau et en toile, ainsi qu'une lance et une hache à double tranchants (la francisque). Toujours d'après Agathias, cette lance, qui peut s'apparenter à un javelot, se finit par une pointe assortie de crochets : ainsi, le Franc peut projeter son arme sur le bouclier adverse, et s'appuyer sur la lance qui y reste coincée pour forcer le bouclier et le bras ennemi qui le tient à pencher vers le bas, pour ensuite percer le corps sans protection avec un autre javelot ou fracasser la tête avec la francisque. Agathias fait référence à l'angon, une lance à tige de fer mince d'1 mètre 25 avec une tête de fer à crochets. Les plus longs pouvaient mesurer jusqu'à 2m15. 


Représentation d'un guerrier franc "idéal".

Les troupes les plus riches étaient généralement à cheval, et pouvaient porter une cotte de mailles à la romaine ou une casaque de cuir couverte d'écailles en métal, ainsi qu'un casque consistant en une calotte de fer recouverte de cuir. Pour ce qui est de la tactique, elle reste sommaire. En 1.12.1-2, Agathias mentionne un groupe de guerriers francs à bouclier couverts sur les flancs par deux ailes de cavalerie. En 2.5.4, ceux-ci chargent leur adversaire en formation delta, c'est-à-dire en coin, ou encore en triangle, pointe tournée vers l'ennemi. La charge de ces Germains armées de francisques et d'angons est dévastatrice.

Conclusion

Les armées privées du roi et des Grands, complétées par des levées franques, mais aussi des autres peuples sous domination franque, forment l'armée mérovingienne. L'infanterie germanique franque a une puissance de choc impressionnante, manquant néanmoins de protection, et la possession d'une armure et d'un cheval reste réservée aux plus riches. Les campagnes militaires sont courtes, et le pillage pour se ravitailler en nourriture est la norme.

Sources :

- AGATHIAS le Scolastique, Histoire de l'Empereur Justinien, traduit du grec par M. Cousin, 2.3.3, 2.5.4
- PROCOPE de Césarée, Histoire de Constantinople, traduit du grec par M. Cousin, 25.2

Bibliographie :

CONTAMINE, Philippe, CORVISIER, André (dir.), Histoire Militaire de la France. Tome Premier : Des Origines à 1715., PUF, Paris, 1992, 632 pages

samedi 12 novembre 2016

Chronique Géopolitique 03 - Qui veut la peau de l'Etat Islamique ? (Proche-Orient)

Chronique Gépolitique 03 - Qui veut la peau de l’Etat Islamique ?

Changer de perspective

A un moment ou à un autre, il faut faire le point. Tous ces événements qui se déroulent au « Proche-Orient », selon l’appellation française, mobilisent un grand nombre de pays, dans une atmosphère angoissante de crise internationale. Le lieu de cristallisation des tensions mondiales a changé de terrain et d’ennemi, et tous les yeux se tournent vers cette région plongée dans la crise et la tourmente depuis au moins 2003. Mais l’originalité de ce conflit est qu’on semble retrouver un seul et même ennemi, l’Etat Islamique, qu’il s’agit de réduire à néant. Pourtant, les protagonistes de cette histoire ne sont pas autant pressés les uns et les autres d’arriver à cette fin, comme nous allons le voir. 


Inutile de les présenter... Mais sont-ils les seuls acteurs de cette histoire ?

Sans rester sur une guerre simpliste contre le « méchant terroriste », il convient d’observer ici les tensions régionales qui sont à l’œuvre, qui dépassent la simple lutte contre une organisation terroriste, pour nous poser la question que vous avez vu en titre : qui veut la peau de l’Etat Islamique ? D’aucuns seraient tentés de dire « tout le monde ». Mais la vraie question qui se pose au moment où de grandes batailles décisives se jouent, c’est le « qui ». Les acteurs de cette guerre, aux motivations variées, ont des objectifs différents les uns des autres, et la « coalition internationale », qui essaie de gommer ces différences, n’y parvient que trop peu. Sans être un article synthétique de référence, j’ai choisi pour ce troisième épisode de Chronique Géopolitique de rappeler à l’esprit des choses que j’estime importante, sans prendre un quelconque parti. 

Carte très synthétique de mai 2016 trouvée sur le site de Libération. Beaucoup de changements depuis.

Les origines du conflit

L’Etat Islamique s’appelle ainsi depuis juin 2014. Il était auparavant une branche de l’organisation terroriste d’Al-Qaïda. Mais s’il a eu un essor fulgurant dans la région, c’est que le contexte s’y prêtait. En 2003, les Américains envahissent l’Irak et mettent à bas le régime de Sadam Hussein (1937-2006). En proclamant haut et fort la démocratie, ils désunissent pourtant la société. Depuis sa fondation, l’état irakien fonctionnait avec une minorité sunnite au pouvoir, contrôlant l’armée et les postes-clés de l’administration, gouvernant une majorité de chiites. Sans revenir sur la distinction doctrinale entre ces deux branches de l’Islam, la perturbation du régime irakien a donné lieu à de grandes purges. Pendant la passation de pouvoir « démocratique » qui a profité aux chiites, des guerres civiles meurtrières ont opposé les deux branches de l’Islam. Des quartiers se sont embrasés, et en promettant l’union, la désunion et la décomposition civile se sont profilées. Or, une partie des sunnites rejetés du pouvoir a pu ainsi être séduite par les discours du sunnisme international et du retour d’un califat, et ont pu rentrer dans les bras ouverts de l’organisation, d’autant plus que certains ont une bonne expérience militaire. L’armée fanatisée de l’Etat Islamique s’est dès lors imposée dans le nord, face à des troupes chiites peu expérimentées, peu motivées, récemment enrôlées, et l’état irakien n’a pas su maintenir sa souveraineté. On parle d’ « état failli » (Livre Blanc 2013, p.44, 84 et 89). 

La guerre civile en Syrie dure depuis plus de cinq ans.

Du côté méditerranéen, on se retrouve en 2011 après le « Printemps Arabe » au Maghreb en Syrie. Face aux manifestations contre le régime, le président Bachar al-Assad (1965-?) utilise la force, mais sans réussir à calmer le jeu puisque le pays sombre dans la guerre civile et la violence. Les rebelles s’organisent en différents groupes, prennent certaines cités et réussissent à l’aide de soutien à maintenir la lutte jusqu’à aujourd’hui. Certains groupes rebelles se sont radicalisés sous l’impulsion de personnalités connues dans le monde du djihadisme (et libérés des prisons sur ordre présidentiel d’après un ancien prisonnier interviewé dans le documentaire de J. Fritel), qui mettent à mal la crédibilité des autres rebelles. Comme nous l’avons vu pour la Colombie, celui qui arrive à classer l’autre comme « terroriste » réussit à le sortir d’une discussion. L’Etat Islamique s’est ainsi retrouvé dans la zone syrienne par le biais de ce contexte.

Une régionalisation tendue


C’est d’abord par les financements occultes qu’apparaissent les premiers signes d’une régionalisation du conflit. Sans le dire tout haut, on sait par plusieurs enquêtes et récits (voir nos sources) que les groupes radicaux, et parmi ceux-ci celui de l’Etat Islamique, ont été financés et équipés par la Turquie du président R. T. Erdoğan, mais aussi par l’Arabie Saoudite et les autres émirats de la région. Lorsque le conflit s’intensifie davantage autour de l’Etat Islamique, notamment après les attaques du 13 novembre 2015, le contexte n’est plus le même. Une coalition internationale essaie de réunir une soixantaine d’Etats pour éliminer l’Etat Islamique (dont la Turquie et l’Arabie Saoudite font partie…). 

Après le 13 novembre 2015.

D’autre part, le conflit s’est régionalisé. L’opposition entre l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite, qu’on retrouve aussi au Yémen, retrouve un regain autour des actions des différents acteurs. Si l’Arabie Saoudite a pour alliés traditionnels les Etats-Unis, qui se sont longtemps opposés au régime syrien, l’Iran est plutôt proche de la Russie. Pour protéger le régime syrien de Bachar al-Assad, alaouite, c’est-à-dire appartenant à une branche du chiisme dans un pays majoritairement sunnite, l’Iran et la Russie fournissent argent, équipement et participent même aux conflits. Deux ports de la côte méditerranéenne comptent ainsi des navires russes (Tartous et Lattaquié). De plus, le Hezbollah libanais (chiite) envoie des troupes aux côtés du régime, malgré sa catégorisation de « mouvement terroriste ». La Turquie, membre de l’OTAN et donc alliée des Etats-Unis, aux frontières avec l’Europe et la Russie, se retrouve depuis quelque temps proche de la Russie elle aussi, peut-être pour pouvoir jouer à son tour un rôle régional. 

Les troupes kurdes

Enfin, le peuple kurde se retrouve lui aussi dans ce conflit. Jamais reconnus totalement indépendants (bien qu'autonomes, notamment en Irak), les Kurdes se retrouvent à cheval sur le nord de la Syrie et de l’Irak, et au sud de la Turquie. Ils ont pris les armes assez tôt pour lutter contre l’Etat Islamique, et ont eu un certain succès au nord de l’Irak. Financés et équipés par les Etats-Unis, ils se retrouvent à la tête d’une région et semblent sortir gagnant de ce conflit, grâce à une maîtrise territoriale qui s'affirme, et qui semble de plus en plus apparaître comme une répétition générale en vue d'une indépendance. Ce qui est craint par les puissances environnantes, et notamment par la Turquie. Malgré l’OTAN, des heurts ont ainsi eu lieu entre les Peshmergas, les combattants kurdes, et les troupes turques : dans cette région, nous ne sommes plus à un paradoxe près, et les Etats-Unis semblent depuis un an avoir du mal à naviguer dans ce foisonnement d’intérêts contradictoires (comme s’en amusent plusieurs articles du Canard Enchaîné). Pour le président turc, les Kurdes sont une menace, notamment s’ils créent un état au sud de la Turquie, dans une région où les Kurdes sont majoritaires. Depuis le putsch militaire raté du 15 et 16 juillet, et la reprise en main brutale de la société par le biais d’une purge destinée à écarter les gens « suspects », le président n’a pas hésité à parler des organisations kurdes et à les désigner comme des organisations terroristes. Ce qui n’est pas l’appellation onusienne exacte…

Après la bataille ?

On voit ainsi que les acteurs ont des motivations assez diverses, et que la coalition internationale qui lutte en ce moment contre l’Etat Islamique a des divergences sur l’avenir de la Syrie, des Kurdes et globalement sur l’avenir de la région. Comment reconstruire une Syrie ravagée par un conflit, alors que les rebelles qui luttent encore se retrouvent face aux troupes syriennes, russes et du Hezbollah ? Comment reconstruire l’état irakien avec une armée en décomposition et une fracture sociétale profonde ? Comment voir l’avenir de la Turquie, entre OTAN, Europe, Russie et Moyen-Orient ? Que vont faire les Kurdes après la fin de l'Etat Islamique ? Certains spécialistes, tel P-J Luizard, rappellent que ce qui se passe dans la région est une affaire bien plus politique que religieuse, contrairement à ce que l’on pourrait penser avec la radicalisation idéologique orchestrée par l'Etat Islamique.

La bataille continue, entre bombardements, attaques de véhicules blindés et assauts.

Avant la bataille de Mossoul, qui a commencé mi-octobre, tous ces intérêts contradictoires se retrouvent ensemble : les Irakiens demandent aux Turcs, qui veulent absolument intervenir, de se retirer ; on trouve aussi bien des milices chiites irakiennes, ce qui peut poser un problème face aux civils sunnites, des armées privées d’Irakiens qui ne croient plus en l’Etat et organisées par de riches individus, les restes de l'armée irakienne, les Peshmergas, etc. Et derrière, les Occidentaux et les Russes, qui soutiennent les troupes sur place, accompagnés par la France. Aucun n'a le même objectif politique. Alors, je le redemande encore une fois : qui veut la peau de l’Etat Islamique ?

Sources :

- Arte : Daesh : Naissance d’un Etat terroriste (Jérôme Fritel, 2014) et surtout Les Guerres Cachées contre Daesh (Jérôme Fritel, 2016), qui traite des motivations contradictoires des acteurs présents

- Canard Enchaîné : les derniers articles satiriques reviennent souvent sur l’incapacité des Etats-Unis à maintenir leurs alliés dans le même bateau.

- LUIZARD, Pierre-Jean, Le Piège Daesh : l’Etat Islamique ou le retour de l’histoire, La Découverte, Paris, 2015 : l’auteur pose sur le temps et l’espace l’Etat Islamique, pour déceler les causes profondes et savoir où l’on va.

- Monde Diplomatique : les analyses plus réfléchies et les cartes permettent de s’y retrouver davantage dans cette jungle.

mercredi 9 novembre 2016

Point Actu : Donald Trump, la surprise de l'année ? (09/11/2016)

Qu'est ce qui est passé par la tête des Américains ? Ils viennent d'élire un président moqué dans tous les médias internationaux, adepte du dérapage, des mots forts, de la polémique, avec un propos que tous les experts se sont amusés à catégoriser comme populiste. Et ce juste après deux mandats du premier président afro-américain de l'histoire politique des Etats-Unis. Elire une femme, était-ce trop demander ? Les sondages, les stars américaines soutenant H. Clinton, tout indiquait une situation inverse... Eh bien en fait non. Osons le dire, l'élection du 45e président rentre tout à fait dans le moule des événements politiques internationaux. Mais avant de rentrer dans le coeur du sujet, petit topo sur les élections américaines.

Comment on vote aux Etats-Unis ? Au niveau de chacun des 50 états, avec quelques spécificités comme la ville de Washington D.C, les électeurs votent pour les grands électeurs. Le nombre des grands électeurs est simple à déterminer : il s'agit des deux sénateurs de chaque état, et des représentants, tous présents au Congrès ou en train d'essayer d'y parvenir (tous les deux ans, une partie du Congrès est élue, mais pas dans les mêmes états). Les représentants sont au prorata de la population : ils sont 55 en Californie, 1 au Vermont. Dans ce dernier état, les électeurs votent donc pour 3 grands électeurs. 

Les dernières élections

Pour être élu, un candidat doit avoir 270 grands électeurs sur un total de 435 représentants + 100 sénateurs + 3 pour Washington, soit 538. Il faut donc avoir un peu plus de la moitié. Enfin, la règle du Winner Takes it All signifie que dans un état, si on a une majorité républicaine par exemple, TOUS les représentants seront républicains, et ce même si l'écart entre les votants démocrates et les votants républicains est de 1. Les swing states sont des états dont on ne peut jamais prédire pour qui ils votent, contrairement par exemple à la Californie toujours démocrate et au Texas toujours républicain. Enfin, il faut savoir que le président reste président jusqu'au 20 janvier. C'est ce qu'on appelle la période du canard boîteux, du lame duck si le président sortant est voué à se faire remplacer par un président d'un autre parti appuyé ou non par le Congrès.

I. La désaffection vis-à-vis des élites

Le discours anti-establishment est toujours un discours contradictoire. Forgé par un membre de l'élite contre l'ensemble des élites, il est rempli de paradoxes : Donald Trump est un homme d'affaires très influent, le Philippin Rodrigo Duterte est avocat et engagé politiquement depuis longtemps avant d'être président en 2016, la Française Marine le Pen est elle aussi avocate et engagée politiquement.


Et pourtant, dans une démarche se voulant populiste, ce discours est généralement très bien accueilli, notamment dans les démocraties représentatives qui se posent aujourd'hui beaucoup de questions à l'aune de la crise économique de 2008 et des événements internationaux, dans une tendance au repli communautaire et au rejet d'un système jugé défavorable pour le citoyen lambda qui veut juste vivre une vie correcte. Le rejet de l'Europe par les Britanniques, le rejet de la paix avec les FARC, chaque référendum est l'occasion de rejeter un discours consensuel porté par l'élite politique, par la "communauté internationale", par les médias, le tout porté par des personnalités au discours populiste.

II. Une vraie surprise ?

Les analystes parlent depuis toujours de l'impossibilité qu'a Trump de rassembler. Ils n'y croyaient pas en tant que candidat, ils n'y croyaient pas en tant que candidat républicain, ils n'y croyaient pas en tant que président. Les stars soutenant Hillary non plus. La majorité des journaux américains non plus. Les sondages non plus.


Mais est-ce si surprenant ? Le Brexit et la Colombie ont prouvé que ces marqueurs étaient bien souvent inefficaces pour juger d'une désaffection populaire, qui prend ses racines dans la "majorité silencieuse" bien plus que dans le bruit des médias et des politiciens. Le discours anti-Trump est international et très étoffé : ce moyen de décrédibilisation a pourtant permis de porter le discours anti-journaux de Trump, qui aurait pourtant pu être considéré comme complètement crétin, si la neutralité politique avait été un tant soit peu respectée. Son discours, bien que rempli de paradoxes, a rempli son office : se présenter comme un candidat anti-système, loin de la corruption et du bruit ambiant, qui va résoudre les crises internationales et se replier sur le sol américain. Un discours sans nuances, sans grand sens puisqu'on va bien voir durant les quatre prochaines années que le retrait total de l'Amérique est utopique, mais ce discours a porté ses fruits.


Et n'oublions pas non plus que la campagne présidentielle a été portée par des débats où les invectives ont volé davantage que les idées, où les scandales se sont multipliées dans les journaux sans interruption : entre les mails de Clinton et les propos de Trump, il y avait de quoi faire. Voter dans ces conditions est ainsi déjà se poser des questions sur les élites politiques et médiatiques. Penchons-nous tout de même sur les chiffres : 59 086 074 électeurs ont voté pour des grands électeurs républicains, 59 238 524 pour des grands électeurs démocrates. La carte des élections présente une côte ouest et nord-est démocrates, et le reste du pays républicain. Bizarrement, deux côtes surreprésentées dans les médias internationaux, au détriment de l'intérieur du pays, bien moins connu... Si la carte diffère peu des dernières élections, c'est surtout au niveau des swing states que tout s'est joué cette année.

Et maintenant ?

Un Congrès à majorité républicaine, un juge de la Cour Suprême à élire, le Grand Old Party est le vainqueur de cette année 2016. Au niveau du programme du candidat, rien n'est encore prévisible. Les discours plus ou moins creux et idéologiquement dangereux se confronteront en 2017 à la réalité du pouvoir, d'autant plus que tous les Républicains ne sont pas derrière Donald Trump. N'oublions pas que certains cadres du parti ont marqué leur franche opposition à l'homme, et que le système politique américain est plus congressionaliste que présidentialiste.


Si en 2017, l'Obamacare est en danger, et que la libéralisation du pays va s'accentuer, les propos du président pour la scène internationale ont besoin d'être étayé par les faits : la Chine, l'Europe, l'Iran, le Mexique, l'OTAN, la Russie, les terroristes d'Isis, les dossiers brûlants seront sur la table à n'en pas douter, et nous verrons bien comment un président qualifié de populiste et de non-présidentiel prendra les choses en main.