mardi 22 décembre 2015

Armées d'Aujourd'hui 02 - Le Haut-Commandement français - La Tête (1)

Alors que l'armée de terre se réorganise selon le nouveau modèle "Au contact" qui bat son plein en cette année 2016, et que mes articles doivent être du même coup revus, je lance une nouvelle série "Armées d'Aujourd'hui" centré sur le haut-commandement français.

Armée d'Aujourd'hui : Le Haut-Commandement français

La Tête (1)

I. Le Chef d’état-major des armées (CEMA)

Le CEMA est sous l’autorité directe du Président de la République et du Gouvernement, et est responsable de l’emploi des forces et du commandement à la plus petite échelle possible, c'est-à-dire celle du monde. Il est aussi chargé des ressources humaines de l’armée, de son organisation, de son entraînement, de la coordination du renseignement et des relations internationales militaires. Il n’est bien sûr par seul dans ces multiples tâches, d’où l’intérêt de cet article.


Général d'Armée Pierre de Villiers, 2014

Il dirige ainsi les chefs d’état-major de l’armée de terre, l’armée de l’air et de la Marine Nationale. Il commande aussi les forces françaises à l’étranger, comme nous le verrons bientôt. Il a sous sa juridiction des conseillers diplomatiques, des organismes interarmées, une division des affaires générales, mais aussi l’Etat-major des armées.
 
II. L’état-major des armées (EMA)

Le « major général des armées » (MGA), secondant le CEMA, dirige l’EMA. Il est par ailleurs accompagné d’un officier général adjoint et de quatre sous-chefs d’état-major. L’officier général adjoint dirige la division transversale « études-synthèse-management général » (ESMG), ce qui lui permet de coordonner le fonctionnement de l’EMA et d’organiser un travail interarmées. Quant aux quatre sous-chefs d’état-major, ils sont divisés en spécialités, et à la charge d’un bureau, c'est-à-dire d’une division de l’EMA.



On trouve d’abord le « sous-chef Opérations » (SC-OPS), responsable du « centre de planification et de conduite des opérations » (CPCO), de la division emploi, de la division forces nucléaires et du « bureau géographique, hydrographique, océanographique et météorologique » (BGHOM). Il prépare les opérations, donne les objectifs, organise les retours d’expérience (RETEX), détermine les « budgets opérationnels de programme » (BOP) pour le financement de l’emploi des forces, dirige les forces interarmées des hélicoptères et de l’espace, et a sous sa férule les commandants de force de présence.

Ensuite, on trouve le « sous-chef Plans » (SC-Plans) qui détermine le format des armées, leur programmation et la planification de l'emploi des forces. Le « sous-chef Performance » (SC-PERF) s’occupe de l‘entraînement et de l’organisation des retours d’expérience. Enfin, l’ « officier général chargé des relations internationales militaires » (OG-RIM) s’occupe de la place des armées françaises au sein des partenariats militaires internationaux pour organiser des plans de coopération et garder un contact entre les différentes forces armées.
 
III. Le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO)

Le CPCO, sous l’autorité directe du SC-OPS, est considéré comme le « centre nerveux » de la chaîne de commandement opérationelle. Située sur l’îlot Saint-Germain, on y trouve 200 officiers, sous-officiers, officiers du rang et officiers de liaison (les alliés) pour se charger de la planification et du bon déroulement des opérations.



Le CPCO dispose de "joints" aux compétences géostratégiques, permettant de diviser la planète en théâtres d’opérations, de joints aux compétences fonctionnelles, pour déterminer la logistique, la communication, et le renseignement, et enfin de cellules d’experts où on retrouve notamment des officiers de liaison.

Liste des épisodes :

1 : La Tête
2 : Les Forces françaises à l'étranger
3 : Les Services Inter-Armées

Sources
:

- Le site du Ministère de la Défense
- Les sites qui en découlent

dimanche 13 décembre 2015

Armées d’Aujourd’hui 01 - L’Armée de Terre française - Présentation Historique (1)

Une armée est avant tout un groupe d’hommes et de femmes disposant d'une organisation particulière et disposant d'un équipement varié incluant une variété d'armes permettant de porter la violence, de l'intimidation à la mort. Lorsque l'armée est une institution affiliée à un état et financée par lui, elle s'utilise en vue d'objectifs affirmés par le pouvoir politique. Traditionnellement, dans les armées des démocraties occidentales d'aujourd'hui, l'armée a pour rôle de défendre l'état, de défendre les ressortissants de l'état où qu'ils soient et de défendre les intérêts de ce même état à l'étranger. Selon Clausewitz (1780-1831), « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » (De la Guerre) : cette formule un peu éculée peut résumer simplement la place de l'armée en tant qu'institution. 

La guerre a beaucoup évolué au contact de l’histoire, de la géographie, des peuples et des technologies, et ce qu'on appelle aujourd’hui armée agit sur de nouveaux champs de bataille, avec une organisation différente et de nouveaux moyens (dont la robotique et l'électronique), et il s’agit dans cette nouvelle série d’articles intitulée « Armées d’Aujourd’hui » de comprendre le rôle, les structures, les équipements des forces militaires actuelles. D’autant plus que des opérations militaires sont en cours à chaque instant.

Armées d'Aujourd'hui 01 : L'Armée de Terre Française

Présentation Historique (1)

Dans cette toute première série d'articles, nous nous intéresserons à l’Armée de Terre française, qui, parmi les forces armées de la France, dispose des effectifs les plus imposants : en 2014, la France compte dans l'armée de terre 115 004 militaires d’active sur 365 835 actifs en comptant la Gendarmerie Nationale, dont 59 618 militaires du rang, 39 937 sous-officiers et 14 827 officiers. On rajoute à cela 8 726 civils, pour les administrations et les structures, et 15 425 réservistes sur 27 680 pour les trois forces armées. La proportion de femmes est de 15% en 2010, et parmi cette proportion un peu datée 30% parmi les volontaires, 14% parmi ceux du rang, 16% des sous-officiers et 12% des officiers. Une fois ceci fixé, on peut se borner à rappeler quelques dates-clés. 



Les toutes premières forces armées françaises permanentes datent de la fin de la Guerre de Cent Ans (1337-1453) et des toutes premières Compagnies d'Ordonnance. Avant cette date, les rois de France comptent sur les troupes de leurs vassaux directs, de leurs vavasseurs, et sur les troupes prélevées sur le domaine royal. Cette innovation permet d'affirmer la puissance militaire du souverain, et induit un nouveau type d'organisation, d'entraînement, de fournitures militaires, etc. Une véritable Marine d'Etat se développe sous le règne de Louis XIII (1610-1643) grâce à l'intervention du ministre Richelieu. Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, l'armée s'uniformise davantage : on fait de moins en moins appels à des nobles fournissant l'argent pour recruter des hommes qu'ils mèneront au combat, et les troupes dites royales se développent. La parenthèse de la Révolution Française crée une armée mobilisée à un niveau aussi vaste que celui de la nation : c'est la naissance des armées de masse.



En 1914 combat dans les tranchées une armée véritablement nationale de la Troisième République (1870-1940). On peut en effet dater un sentiment français à partir du moment où tous les citoyens sont modelés par le passage à l'école et à la caserne dès la fin du XIXe siècle. L'armée victorieuse se modernise avec difficulté et est vaincue en 1940. Les troupes de Vichy et les Forces Françaises Libres jouent ensuite un certain rôle de part et d'autre des deux camps. Après la Seconde Guerre Mondiale, l'armée participe en Indochine et en Algérie aux deux guerres. L'aviation, les blindés et l'arsenal sont désormais partie prégnante de l'armée française. Il faut attendre le 28 octobre 1997 et la présidence de Jacques Chirac pour que le service militaire obligatoire soit suspendu : l'armée est désormais une armée professionnelle. Reste que les forces militaires françaises sont encore présentes aux quatre coins du monde, remplissant leurs missions à l'étranger, dans les opérations extérieures (OPEX), dans le cadre des alliances internationales ou dans les départements et régions d'outre-mer (DROM).



L’armée française est sujette à des réformes permanentes, entre 1999 et 2011, et c’est loin d’être fini, comme le prouvent les réflexions menées depuis le dernier Livre Blanc de 2013, la Loi de Programmation Militaire et les attentats. Concernant l'armée de terre, un nouveau modèle, intitulé « au Contact », est en cours d’élaboration et de finition. Il a été présenté à Saint-Cyr le 28 mai 2015. L’architecture de l’armée de terre sera quelque peu modifiée, selon huit piliers que je ne manque pas de vous citer : Force Scipion, Forces Spéciales, Commandements Spécialisés (Renseignement, Sic-Cyber, logistique), Maintenance, Ressources Humaines, Aérocombat, Formation-Entraînement Interarmes et Territoire National. Concentrons-nous pour le moment sur ce qui constitue l'armée de terre française.


Liste des épisodes :

1 : Présentation Historique
2 : Les Hauts États-majors

3 : Du Troupier au Corps d'Armée
4 : Les Spécialités
5 : Les Grades


Sources :

Site de l'Association Nationale des Réserves de l'Armée de Terre
Site de l'Otan
Site du Ministère de la Défense

vendredi 11 décembre 2015

Compte-Rendu n°1 : Actualité, objets et enjeux de la défense



Dans cette série intitulée "compte-rendu", je cherche à synthétiser avec plus ou moins de bonheur des ouvrages historiques, des conférences, ou que sais-je encore. Dans ce premier épisode, ce sera une conférence se tenant dans le cadre des Rendez-Vous de l'Histoire à Blois de 2013 dont le thème était purement et simplement « La Guerre ». Après les récents événements de l'année 2015, il y a plus à dire sur la question de la défense, mais je pense que cela reste une bonne base de réflexion, portée par trois historiens français de la guerre et un général.

On trouve la partie 1 et la partie 2 de cette conférence en ligne. Si cela vous intéresse, je ne vous priverai pas de ce plaisir. 

Introduction : la question de la frontière et de la défense, M. Lecoq

a) Introduire le propos

La question qui se pose dans ce débat, c’est la question de l’enseignement de la défense à l’ère d’aujourd’hui sous le spectre de la frontière. Le premier intervenant montre qu’au fil des Livres Blancs liés aux questions de la défense, on est passé du terme de « Défense Nationale » en 1994, à celui de « Défense » en 2008, pour finalement parler « de la Défense et de la Sécurité Nationale » en 2013.

C’est l’évolution des frontières qui intéresse les intervenants, ou comment passer d’une défense des frontières bien terrestres à une défense sur mer, à l’usage des renseignements et à la mise en place des fameuses OPEX, soit « opérations extérieures ».

b) L’évolution de la frontière

M. Lecoq revient d’abord sur la conception moderniste de la frontière, avec le « pré carré » de Louis XIV, et le travail de l’infatigable Vauban entre 1690 et 1700. Il faut défendre la frontière, la protéger, et empêcher ainsi l’arrivée de l’ennemi sur le sol royal.

Au XIXe siècle, la construction des forts de défense aux frontières indique la volonté de dépasser la défaite de 1870-1871 face aux Prussiens, et qui coûta l'Alsace-Moselle. L’exemple qui est cité est celui du Général Séré de Rivières, qui a donné son nom au système de défense français de l’époque, disant sur son lit de mort en 1895 « La frontière, la frontière ! ». Cette focalisation sur la frontière terrestre donnera la Ligne Maginot, qui eut les résultats que l'on sait lors de la Seconde Guerre Mondiale.

c) L’évolution de la défense

Depuis la fin de la Guerre Froide, la sécurité intérieure se rapproche de la sécurité extérieure, et cette même «sécurité » prend le pas sur la notion de « défense ». Les Livres Blancs deviennent de plus en plus fréquents : 1972, 1994, 2008 et 2013, comme nous l’avons dit auparavant.

Dans la pensée d’un De Gaulle, le rapport à la frontière est encore très marqué, mais la fin de la Guerre Froide en 1991 change beaucoup de choses. La défense a évolué, depuis la dissuasion nucléaire jusqu’à nos jours.

Les nombreuses interventions extérieures depuis la fin de la Guerre Froide, plus d’une centaine selon le général invité, montrent la force de projection française à l’œuvre, dans le Golfe, dans les Balkans, en Afrique. La défense des frontières devient une défense sans frontières, avec l’entremêlement de la sécurité intérieure et extérieure, et c’est bel et bien l’enjeu de cette conférence que de comprendre cela.

Les nouveaux horizons de l’espace maritime, M. Chaline


a) L’espace maritime comme frontière

Il faut ainsi revenir sur la capacité de la France à protéger ses intérêts à travers le monde, ce qui est lié au contrôle des espaces maritimes, dans l’optique du commerce mondial,  du besoin en hydrocarbures et en matières premières.

La territorialisation de ces espaces est ratifiée depuis la convention de Montego Bay en 1982, qui distingue les « eaux territoriales », donc zones d’intérêts pour la défense nationale, des ZEE ou «zones économiques exclusives », dont le rôle est plus économique. Dans le premier cas, on a une limite de 12 miles marins, soit 22 kilomètres, et dans le second la bagatelle de 200 miles marins, soit 370 kilomètres.

A ce titre, grâce aux possessions françaises aux Caraïbes, en Amérique Latine, au nord de Madagascar, près de l’Australie, la France a la deuxième ZEE du monde, après les Etats-Unis. Soit des frontières maritimes impressionnantes, avec 11 millions de kilomètres carrés.

b) Gérer cet espace maritime

Il faut donc des bases militaires, une capacité de projection des forces, la nécessité d’organiser le ravitaillement et la gestion du matériel pour pouvoir intervenir dans les zones d’intérêts stratégiques pour la France dans le monde, d’autant plus que ces nouvelles frontières ont aussi un rôle économique.

M. Chaline parle d’une frontière « liquide et profonde », ce qui se lie bien avec la gestion des ressources sous-marines nouvellement exploitées par l’homme. Du même coup, la place de la mer dans l’horizon stratégique de la France, et du monde, est un phénomène nouveau.

L’intervenant ne manque pas au plaisir de détailler les missions des navires de type « Mistral », à savoir projeter des forces, commander ces forces projetées, organiser des opérations amphibies, envoyer des hélicoptères, embarquer et rembarquer des militaires ou de la population locale en danger. 

Les frontières du renseignement, M. Forcade


La discipline historique, qui s’intéresse à une gamme de sujets divers et variés, a plusieurs tendances au fil du temps, et celle du renseignement est une nouvelle tendance, un « front historiographique », une frontière nouvelle, comme le constate M. Forcade pour coller de plus près au sujet.

L’histoire du renseignement peut commencer à la question du fichage en 1886, organisé par le Général Boulanger, qui prescrit le fichage des étrangers pour le service militaire, et crée le « Carnet B» dont le but est de ficher les suspects d’espionnage et les antimilitaristes, et en 1891 on y rajoute les anarchistes, assez actifs. Après la Première Guerre Mondiale, c’est l’anticommunisme d’Etat qui est organisé.

L’intervenant prend un exemple précis, celui de l’organisation en 1937 autour du Président Blum d’un système de renseignements liant les acteurs de ce renseignement aux services et aux ministères. Ce cas de figure est vite abandonné, et après la Seconde Guerre Mondiale, le renseignement apparait comme une sorte d’acteur indépendant, et ce n’est qu’au jour du décret du 25 décembre 2008 qu’un Conseil National du Renseignement voit le jour. Les hommes politiques ont désormais maille à partir avec ces systèmes d’information, avec la conjonction d'une force décisionnelle à une force informative. Saint-Denis en est un bel exemple.

Les opérations extérieures, Général Hugues Delort Laval

a) Les OPEX


Le Général définit une opération extérieure comme l’emploi de la force, de la violence légale, orchestrée par l’Etat, en-dehors de ses frontières, ce qui implique quelques controverses comme on s’en rend compte assez vite.

L’intervenant militaire fait un rapide descriptif des opérations extérieures dans l’histoire, notamment au Liban en 1978 où les forces françaises sont encore aujourd’hui. C’est après la Guerre Froide qu’on parle d’un accroissement soudain des OPEX, plus d’une centaine en moins de vingt ans, avec des objectifs plus variés, comme la réponse humanitaire aux crises, ou la lutte anti-terroriste.

Les Livres Blancs ont pour but de fixer des cadres plus ou moins légaux à ces opérations, à les justifier, pour faire de ces OPEX une norme plutôt que quelque chose d’exceptionnel.

b) Intervenir ?

D’après le Général Delort Laval, le monde est en crise, or la France dépend de ce monde, comme le prouvait l’analyse des frontières maritimes. Aussi, le Livre Blanc de 2008 mentionnait le cadre dans lequel on intervient en fonction de cinq cercles concentriques, partant des intérêts précis pour arriver aux plus vagues.

C’est d’abord la protection du théâtre national et des ressortissants français qui est de mise : le citoyen à l'étranger est en quelque sorte un bout de frontière mobile. Puis, c’est la sécurité de l’Europe et de l’Océan Atlantique qui intéresse stratégiquement. Ensuite, on trouve l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient, pour finir sur la notion très vague de « paix dans le monde ».

c) La légalité ?

Une OPEX est décidée par le Président de la Ve République, chef des Armées. Il doit prévenir le Parlement trois jours après le déclenchement, et c’est le Parlement qui décide ou non du maintien des forces armées après quatre mois.

Pour cela, il faut définir les enjeux, les risques, et les avantages de ces opérations, ce qui est le rôle du ministère de la défense et des centres de commandement de l’armée française. La légitimité est une question fondamentale dans les OPEX d’aujourd’hui, et dans les démocraties en général.

Conclusion


A travers cette conférence, et à travers ces quatre hommes qui parlaient en 2013, on voit que la question de la défense aujourd’hui est une question en perpétuelle mutation, et qui a bien changé depuis les années 50, contrairement à ce qu’on pourrait penser.

La frontière est aujourd’hui mouvante, mais toujours d’actualité, non seulement dans les échanges économiques, mais aussi dans notre cas précis pour la défense. C’est l’Etat qui choisit d’engager ses forces pour des intérêts stratégiques, et parfois « humanitaires ». Certaines OPEX permettent juste de gérer des situations de crise sans violence, d’autres non.

En tous les cas, le gouvernement français a la main sur le renseignement, sur l’armée, sur la flotte, et  sur les intérêts stratégiques et économiques des vastes espaces maritimes. Ce qui n'a à la fois rien et tout à voir avec l'histoire militaire française. 

Cette mutation de la défense montre, comme le disait Jean-Pierre Vernant dans Problèmes de la Guerre en Grèce Ancienne à la page 11 : « la guerre n’est pas un fait humain constant et universel ». Si l’on s’intéresse à l’histoire de la guerre, nous aurons le temps de méditer cette phrase.

samedi 28 novembre 2015

De l’intérêt de l’histoire : l’homme, entre société et culture

Introduction

L’histoire est l’étude des hommes dans le temps. Or qu’est-ce qu’un homme ? C’est un descendant d’Homo Sapiens, de sexe masculin ou féminin, et qui possède une organisation interne spécifique. Tous les hommes se ressemblent donc. D’un autre côté, tous les hommes sont différents : petits, grands, bêtes, intelligents, handicapés, malades, en bonne santé, sportifs, etc. Comment donc résoudre cette difficile équation pour avoir une vue historique des hommes ? Tout simplement en considérant les organisations humaines appelés sociétés, toutes différentes, ainsi que les structures mentales à l’œuvre dans la tête des hommes d’une même société considérée. Nous en parlions déjà pour différencier France et Etat Islamique.

I. L’homme dans une société

Découvrir le passé, découvrir l’homme, c’est découvrir une société limitée géographiquement, humainement et temporellement. Aristote (-384 ; -322), le philosophe du –IVe siècle responsable de l’école philosophique du Lycée, ancien élève de Platon (-428 ; -347) et précepteur d’Alexandre III dit « Le Grand » a écrit dans Politique : « l’homme est par nature un animal politique » (1.2). Il appartient nécessairement à un groupe d’hommes, qui l’acceptent plus ou moins bien, et avec qui il vit : ce sont ses voisins, sa famille, ses proches, et puis les représentants de l’Etat, les chefs politiques, etc. L’homme ne vit pas seul, il n’est pas une bête sauvage.

Or, chaque société est différente : en effet, rien de semblable entre la vie à Athènes au –IVe siècle, que l’on soit citoyen, femme, métèque ou esclave, et en France aujourd’hui. L’organisation gouvernementale, les structures publiques, les technologies disponibles, le degré de richesse, l’éducation, tout cela est différent d’une société à une autre, et même dans une même époque : la vie est différente en France, au Japon, et en Afghanistan. Aristote rajoute que l’homme sans cité est « comparable à l’homme traité ignominieusement par Homère de : Sans famille, sans loi, sans foyer ». Aristote n’a pas tort : la société commence avec son foyer, sa famille, et se poursuit dans une organisation plus vaste que l’on appelle tribu, Etat ou cité, avec ses propres lois, ses propres codes. Une tribu d’hommes préhistoriques est une société.

II. La culture dans l’homme

On peut poursuivre avec Aristote : « c’est le caractère propre à l’homme par rapport aux autres animaux, d’être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et des autres notions morales, et c’est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité. » En bref, non content d’être dans une société, l’homme a aussi des structures mentales qui lui disent ce qui est bon, ce qui est mal. Ce qu’on a découvert avec l’anthropologie, c’est que ces notions varient.

La culture s’acquiert par l’éducation, qui passe par la famille, par la tribu, par l’école privée ou publique. Or, on y apprend effectivement à différencier le bien et le mal, le juste et l’injuste, pour pouvoir vivre avec les autres. Aujourd’hui, en France, nous savons que tuer quelqu’un, c’est un crime, quel que soient les raisons. Dans un autre ordre d’idée, dans un enterrement, nous portons du noir. Au Japon, c’est du blanc. Nous avons des valeurs morales, des habitudes différentes. Aux Etats-Unis, les armes sont tolérées, ce qui peut choquer un Français pour qui le port d’armes est prohibé.

Comme je le disais dans l’article cité en introduction, la culture permet de vivre ensemble : les gens qui partagent une même religion, des mêmes valeurs, une même éducation, des mêmes lois vivent mieux ensemble. Lorsqu’on proclame la laïcité, on indique que les gens peuvent ne pas avoir la même religion mais gardent les mêmes valeurs, éducations et lois : on peut pratiquer sa foi en tant que bouddhiste, musulman ou chrétien en étant Français.

Lors d'une guerre, on invoque des différences culturelles pour la justifier : si le Grec dit du Perse qu'il est un barbare, assurément celui-ci proclamera la même chose de son côté. On est toujours le barbare de quelqu'un.

Conclusion

En définitive, étudier l’histoire, c’est étudier une société et une culture dans un temps et un lieu déterminés, où des hommes, fabriqués comme nous, agissent différemment. Sacrifier un homme dans la société Aztèque, c’est normal. L’absence de peine de mort en France, c’est normal. Apprendre l’histoire, c’est donc apprendre que tous les hommes sont différents et semblables, et que personne n’est supérieur ou inférieur à qui que ce soit.

De l’Antiquité à aujourd’hui, les hommes n’ont pas évolué. Seules les sociétés, les cultures et la science évoluent, mais excepté cela, nous sommes les mêmes qu’il y a trois mille ans. Et l’intérêt de l’histoire, c’est de comprendre cela.

vendredi 20 novembre 2015

Point Actu : La France en guerre contre l’Etat Islamique ? (18/11/2015)


Avant-hier, les services de renseignement français ont entrainé une intervention à Saint-Denis. Il y a eu des coups de feu, des morts, et une explosion d’un kamikaze. Si vous voulez plus de détail, je vous conseille cette vidéo récapitulative :


Les hommes politiques français parlent désormais d’une guerre. Mais, comme le rappelait Marc Trévidic dans les vidéos dont j’ai déjà parlé ailleurs, ce n’est pas une guerre au sens juridique du terme, où s’opposent deux Etats. En effet, l’Etat Islamique n’est pas reconnu en tant que tel. M. Trévidic a rajouté que ceux qui étaient venus vendredi étaient des guerriers, c’est-à-dire des hommes dont la fonction est de porter la guerre avec eux. Mais frapper des citoyens français, et non des forces de police ou militaires, est-ce vraiment la marque d’une guerre ?

a) Le choix de la guerre

En 1914, convaincus que la guerre est défensive, les Français rentrent en guerre. L’éducation, le service militaire, la « Revanche », tous ces éléments expliquent le volontariat, et « l’Union Sacrée » des partis politiques.

En 2015, qui pense avoir choisi la guerre ? Qui pense avoir un droit de décision sur l’envoi des forces militaires françaises ? Pas moi. Ceci s’explique aussi par la professionnalisation de l’armée, qui a moins de comptes à rendre à l’ensemble de la nation. Mais qui envoie les forces françaises ? Le gouvernement. Or, ce gouvernement est celui que nous avons élu, et c’est lui qui a pris depuis quelque temps l’initiative de frapper les positions de l’E.I. en Syrie. Si le gouvernement parle alors d’une guerre, c’est bien que nous sommes en guerre, mais pas au sens de 1914 où l’adhésion de tous était spontanée.

b) Les buts de guerre

Toute guerre a un objectif. Celui de la France était, avant vendredi, de s’occuper avec la Coalition d’une organisation terroriste. Depuis qu’on parle de guerre, l’objectif reste le même, puisque l’E.I. n’est toujours pas vu comme un Etat. Peut-on déclarer une guerre contre des organisations autres que des Etats ? Oui. G. W. Bush avait parlé après les attentats du 11 septembre 2001 d’une « War on Terror », d’une guerre contre la Terreur, contre le Terrorisme. 

On trouve donc comme objectifs le démantèlement de l’E.I. et le rétablissement de l’autorité irakienne. Toutefois, lorsqu'on parle de la Syrie de Bachar Al-Assad, allié des Russes, tout est moins clair.

De l’autre côté, l’E.I. a pour objectif d’établir un califat sans contestation possible, ce qui est rendu impossible par la Coalition et la mise au ban internationale. Ses raisons plus idéologiques et religieuses sont connues, mais peu étudiées, et je ne m’aventurerai pas sur le sujet, à part pour rappeler que la guerre se colore toujours d'idéologie, dans laquelle on peut trouver la religion.

c) Les effets de la guerre

L’envoi d’un porte-avions, les frappes françaises organisées depuis le 27 septembre 2015, c’est la projection de la force française à l'étranger. Les cibles ? Des camps d’entraînement, mais aussi des objectifs stratégiques, comme des convois ou même des villes. Une guerre portée sur le territoire de l’E.I. en somme.

En face, l’E.I. n’a pas les mêmes possibilités stratégiques et opérationnelles, si ce n’est pour envoyer, ou renvoyer des français chez eux pour qu’ils commettent en leur nom des attentats. Mais ces attentats, loin de frapper des objectifs stratégiques, l'armée ou la police, ont des visées idéologiques et culturelles réelles. Il faut frapper le cœur de la population et porter la terreur. A ce titre, vendredi ne ressemble pas à un acte de guerre mais à un attentat. On définit un attentat de la mnière suivante (CNRTL) : "Entreprise criminelle perpétrée contre une personne ou contre une communauté, et particulièrement dans un contexte politique". On parle bien d'un crime, et pas d'un acte de guerre. Même chose mercredi : on avait sous les yeux une opération de police.

Et pourtant, depuis toujours, lorsque deux Etats ou cités sont en guerre, il y a des chocs entre armées, sur le champ de bataille, même si aujourd’hui on parle plutôt de « guerre asymétrique », mais il y a aussi toujours eu des forces plus réduites, des commandos ou des corps expéditionnaires, envoyées saccager et piller le territoire ennemi, loin de la ligne de front. Il suffit de lire un des auteurs antiques pour le voir : on pille la campagne, on massacre les paysans et on récupère la nourriture avant de rejoindre l'armée complète. Des opérations de coup de main ont toujours eu lieu dans les cités, pour terroriser la population et les pousser à la reddition.

Les forces terroristes rentrent donc dans cette catégorie de guerrier infiltré capable de tuer sans état d’âme, et d’obéir aux ordres lointains de l’E.I., pour porter la terreur. Ils agissent en fait comme les premiers Hachichins, les Assassins, envoyés dans des missions souvent mortelles. Par voie de conséquence, il s’agit d’une guerre avec une préparation et un envoi de personnel dans la société française pour la frapper au moment opportun.

Conclusion

Pour conclure, il est bon de réfléchir avec cet article sur l’antériorité des objectifs de l’Etat Islamique. Maxime Vaudano rappelle que la France appartient depuis un an à la Coalition contre l’E.I., et que depuis longtemps l’E.I. se considère en guerre avec la France. Une guerre qui se colore, comme toutes les guerres, d’idéologie et de religion : pas besoin de vous donner des exemples précis, il vous suffit de penser à la bataille de Lépante (1751), une des plus importantes batailles navales de l’histoire, marquant une guerre opposant une coalition menée par l’Espagne face à l’Etat Ottoman ; on pense aussi à la Guerre de Corée (1950-1953) où les Communistes du nord ont voulu envahir les non-Communistes du sud, les deux parties soutenues par les Chinois ou les Américains. Religion et idéologie, ou les guerres culturelles.